La boutonnière participe de ce réseau de détails, sur la tenue, qui permet à chacun de métamorphoser l’apparence d’une silhouette. Plus poétique que la cravate, plus visible que des boutons de manchettes, la boutonnière fait pourtant partie de ces détails dont la beauté vient précisément de leur modestie - et de cela, j'aimerais vous dire quelques mots aujourd'hui.
La boutonnière de revers, cette petite incision dans le tissu, est utilisée jusqu’au XIXe siècle pour fermer le col. Elle devient peu à peu un accessoire de pur apparat, sans autre utilité que l’amour du détail.
Les plus néophytes d’entre nous ont parfois un peu de mal à distinguer entre les différentes boutonnières. Récapitulons :
Les boutonnières de revers contrastées ont été très à la mode en prêt-à-porter il y a de cela quelques années. Selon moi, cette généralisation, à l’époque, a retiré à la boutonnière tout son rôle de détail - au sens d’élément permettant à celui qui porte une veste d’exprimer ses propres goûts - mais ce n’est là que mon avis. Un bon twist est un twist discret, et il existe comme nous allons le voir d'autres moyens de rendre votre boutonnière inoubliable.
Car, plus encore que les boutonnières en elles-mêmes, ce qui nous préoccupe - qui doit, du moins, préoccuper tout gentleman qui se vêt, le matin, devant son miroir - c’est ce que l’on y glisse.
La métaphore qui me semble la plus adaptée à la boutonnière est l’héraldique. Cette science, particulièrement complexe, peut être maîtrisée dans ses grandes lignes en quelques règles. Comme en héraldique, la boutonnière est à l’équilibre entre un rang social - les éventuelles décorations d’un individu - et un choix personnel - la couleur, la fleur, la matière que l’on privilégie. Et comme elle, la boutonnière est le lieu d’un message, même si l'on peut évidemment la laisser vierge - le charme de la simplicité a parfois du bon, surtout quand le reste de votre tenue est déjà chargé.
La tradition d’orner sa boutonnière vient de l’habit à la française, en vogue au XVIIIe siècle. La veste se porte désormais ouverte sur le gilet. On raconte même que le roi Louis XVI, s’étant fait offrir un petit bouquet de fleurs de pommes de terre par le célèbre Parmentier, le plaça à sa boutonnière. Les dandies, puis les élégants de la Belle Époque, s’approprient ensuite cet accessoire, au caractère “artiste”, comme on disait alors.
Et quid de nos jours ?
Certains d’entre nous le savent sans doute déjà, mais les décorations peuvent - doivent, diront les plus orthodoxes - être portées quotidiennement. Elles sont l’équivalent, dans notre société, de certaines couronnes ducales qui présidaient aux blasons.
Vous les avez forcément déjà vues, mais savez-vous reconnaître les agrafes boutonnières de la Légion d’honneur, et distinguer cette dernière de l’Ordre des Arts et des Lettres ?
Enfin, le détail le plus délicat - dans tous les sens du terme - c’est bien la fleur que l’on porte souvent à la boutonnière. Là encore, et comme en héraldique - je file la métaphore - on usera des couleurs et des symboles pour exprimer un certain message, ou tout simplement pour une forme de plaisir esthétique.
Concernant la fleur, pas de règle immuable, mais un bon sens de circonstances : un revers volumineux écrasera une fleur trop modeste, tandis qu’un petit revers paraîtra plus chétif encore si c’est une corolle énorme qui s’y déploie.
La fleur, en tissu ou véritable, se porte de moins en moins ; le smoking reste une des dernières opportunités de garnir son revers, de même que le mariage. Nombre de personnes font de cette boutonnière de mariage le lieu d’une exubérance qui rappelle souvent le bouquet de la mariée.
Certaines maisons se sont fait une spécialité de ces boutonnières fleuries, confectionnées avec soin en tissu. C’est le cas de la maison Cinabre, dont on connaît l’élégant bleuet du souvenir, mais qui se décline également en une fleur rouge vif - du meilleur goût sur un smoking !
D’autres marques privilégient des fleurs plus vraies que nature. C’est le cas des créations de la marque américaine Fort Belvédère, dont les détails sont parfois confondants.
Mais, là encore, je sais que certains me souffleront que la “vraie” boutonnière se porte vive - avec tout ce que cette vie a d’éphémère. Chacun son clocher, chers amis, mais tâchons ici d’être exhaustifs, et d’évoquer quelques-unes des fleurs qui se portent de la plus belle des manières.
Vous n’ignorez sans doute pas que les fleurs ont leur langage et leurs règles. Tradition surannée ? Peut-être. Mais de même que je ne résiste que rarement aux boutonnières bien pensées, laissez-moi vous partager quelques messages… quelques-uns de ces mots qui se glissent aux revers.
A l’arrière du revers d’une veste, on trouve souvent une bride, sous la boutonnière, afin de fixer l’ornement floral. Cette bride est parfois dotée d’un petit vase, de forme discrète - le must est en argent, sinon, le plastique fait très bien l’affaire - où l’on glisse la tige de la fleur.
Attention, cependant, chers amis : les feuilles sont à proscrire. Certes, cela fait plus “naturel”, mais ce n’est pas le sujet : il n’y a rien de plus artificiel que la fleur qui pousse entre les fils de soie ! Seule exception : le bouton de rose, dont les jeunes feuilles sont tolérées. Deux autres points, avant d'entrer dans des considérations plus précises : prenez garde à l’odeur de la fleur sur laquelle vous avez jeté votre dévolu, car certaines s’accorderont mal aux notes de votre parfum habituel.
Prenez aussi soin de conjuguer les couleurs d’une fleur à la boutonnière avec les couleurs que vous portez. Plus la fleur sera simple, plus son accord sera aisé. Évitez, de préférence, de conjuguer une boutonnière trop travaillée à une pochette bigarrée : si le costume est une forme de langage, il doit pouvoir être aisément lisible. De même, votre tenue doit refléter un certain état d’esprit; une orchidée sur un denim paraîtra trop sophistiquée, de même qu’une marguerite à la boutonnière de votre smoking semblera un peu terne pour l’occasion.
En tous cas, n’hésitez pas à jouer collectif. Elément du meilleur goût : le duo en double boutonnière !
Passons en revue quelques cas :
L'œillet est un classique, et vous ne ferez pas d’erreur. A la fois simple et sophistiqué, il s’adaptera à la plupart des tenues. Attention, cependant, aux différentes couleurs de l'œillet qui constituent autant de passifs historiques. Au XIXe, l’oeillet blanc est un symbole conservateur et royaliste - “L’Oeillet blanc” est même le nom du cercle royaliste mondain d'André Becq de Fouquières. A l’inverse, l'œillet rouge signale une tendance révolutionnaire - socialisme ou boulangisme. L’oeillet bleu, quant à lui, est à éviter : il a servi de symbole de ralliement aux partisans du journaliste nationaliste et antisémite Edouard Drumont, à l’aube du XXe siècle. Le Radical du 6 juin 1899 déplore d’ailleurs la destinée toujours politique de cette fleur : “Pauvre œillet, toujours réactionnaire ! Rouge avec Boulanger, bleu avec Drumont, blanc avec Gamelle”.
Célèbre, aussi, l'œillet d’Oscar Wilde, que l’on a souvent peint vert. La personnalité sulfureuse de l’auteur a fait de cette boutonnière un symbole des amours homosexuelles, alors interdites. L'œillet vert est passé à la postérité grâce au titre d’un ouvrage du même nom de Robert Hichens, paru en 1894, et qui décrit ce fameux œillet comme “la fleur empoisonnée d’une vie exquise”.
Un blazer bleu, basique de votre garde-robe, accueillera heureusement une fleur dite “sauvage” : la marguerite y sera du plus bel effet, de même que quelques brins de renoncule.
L’églantine, petite fleur discrète, a un passé révolutionnaire, elle aussi. Sa couleur rouge signale le ralliement de certains républicains du début du XXe siècle, notamment au cours de manifestations. L’écrivain Maurice Barrès crée même le néologisme “églantinard” afin de désigner de manière un peu méprisante les républicains socialistes.
Les vestes aux teintes brun clair ou beige peuvent apparaître sous leur meilleur jour quand on les orne d’une boutonnière adaptée. Un choix sûr, mais audacieux, est celui d’une fleur aux teintes mauves : myosotis, lavande, ou violette. Attention, cependant, au volume des quelques brins que vous piquerez à votre boutonnière, ces fleurs sont menues et risquent de se laisser écraser par la largeur de votre revers si vous ne prenez garde à les équilibrer. Une autre possibilité est l’hortensia, dont les teintes bleu clair, azur ou lilas, feront sensation.
L’orchidée est un choix audacieux, souvent sophistiqué, mais aussi quelque peu sulfureux. A essayer avec modération, donc, et sur des étoffes plutôt précieuses.
Le bleuet, on l’a dit un peu plus haut, est la fleur du souvenir - on le réservera donc aux commémorations du 11 novembre ou du 8 mai.
Vous voilà prêts à armer vos revers des plus beaux ornements !
P.S. :
Pour en savoir plus, je vous suggère l’excellent - bien qu’onéreux - ouvrage The Boutonniere, Style In One's Lapel, d’Umberto Angeloni of Brioni.