Bonjour Dirnelli,
je ne suis pas un grand fan des revers fins (de type boys-band), mais ne trouvez vous pas que les revers très (trop) larges que nous observons aujourd’hui sont trop connotés années 70 ? Etant plutôt conservateur dans ma façon de me vêtir, je trouve ces choix stylistiques franchement extrêmes (d’un coté comme de l’autre). Quel est votre avis ?
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Bonne Question
1) le « Menswear » est dans un cycle qui se répète encore et encore. La plupart des « variations » de style que nous connaissons actuellement n’ont rien de bien nouveau et se sont déjà produites plusieurs fois depuis 1920, date à laquelle le costume moderne a été défini avec, notamment, la popularisation de la coupe militaire standard des vestes et des manteaux, marquant un tournant et une rupture nette avec les codes du 19ème siècle.
Les fondements du style masculin que nous appelons aujourd’hui « classique » ont été établis juste après la Première Guerre Mondiale et sont restés, en grande partie, inchangés jusqu’à aujourd’hui hormis, peut-être, quelques petits ajustements par ci par là. Mais la structure globale reste la même.
2) En matière d’élégance masculine, quand vous découvrez un élément que vous pensez nouveau, regardez-y à deux fois car il y a 99% de chances pour que cet élément soit inspiré d’un costume ancien. Je me suis souvent exprimé sur ce sujet, que ce soit à propos du revers présent sur les vestes Hart Schaffner Marx de 1920 qui ressemblent à s’y méprendre à un revers Smalto, ou que ce soit à propos du revers Zegna de 1970 qui ressemble comme deux gouttes d’eau au revers de Eidos Napoli de 2015. La roue de l’élégance masculine tourne et ce n’est, à mon avis, pas un problème. Profitez-en au contraire ! (Voir ci-dessous un revers Brioni des années 70).
3) Si ces hauts et ces bas (ou plus exactement si les changements de largeur dans les revers) vous embêtent, alors définissez vos proportions idéales personnelles, celles qui, selon vous, vous donnent une allure intemporelle et tenez-vous y quelque soit la durée du cycle en cours. Ainsi vous serez, tout à tour, dans le coup et complètement démodé, selon les périodes. Ou pour le dire autrement, vous serez sûr d’être l’homme possédant le plus de style dans la salle au moins…une fois tous les 30 ans ! Cette perspective n’est peut-être pas très agréable, même si vous trouverez surement de la fierté et du confort personnel à ne jamais être influencé par les caprices, par essence transitoires, de la « Mode », cette garce détestable…
4) Pour avoir souvent discuté de ce sujet avec mes pairs, je suis arrivé à la conclusion que nous sommes tous, en réalité, à la recherche du style intemporel, mais que nous sommes tous également influencés, que cela nous plaise ou non, par les goûts, l’esthétique et les courants vestimentaires de notre époque. Et franchement il n’y a vraiment pas de mal à cela.
5) Votre question contient deux parties : (A) Observons-nous trop de revers larges parce qu’ils sont de nouveau « à la mode » et (B), les revers sont-ils devenus trop larges ?
Non et non.
Les revers larges ont effectivement envahi le Pitti Uomo et Tumblr, mais ne sont pas vraiment présents dans la vraie vie. Il vous suffit de regarder autour de vous pour vous en rendre compte. Quand ils auront fait leur apparition dans les rues commerçantes et chez Zara, alors nous pourrons peut-être commencer à dire que trop c’est trop. Mais nous en sommes encore très loin !
Dans l’intervalle, la vérité c’est que le marché reste à ce jour largement dominé par les minuscules revers de boys-band (voir la dernière pub Hugo Boss ci-dessous avec leur nouvel « ambassadeur Gérard Butler), pour notre plus grand malheur.
De l’autre côté du spectre, parmi les faiseurs de « grands revers », certains ont effectivement péché en atteignant des proportions XXXL presque déraisonnables : Chiaia Napoli (voir le costume croisé ci-dessous), Sartoria Reale ou Kevin Seah (voir le revers énorme ci-dessous également) sont les premiers noms qui me viennent en tête avec des modèles qui frisent les proportions des années disco !
6) Mais pour la grande majorité des fabricants, je ne considère pas que les revers soient si larges que cela, surtout s’ils sont bien équilibrés avec l’extrémité du cran positionné à peu près à égale distance entre la couture de l’épaule et le roulé du revers (un secret de tailleur).
En effet, si l’extrémité du cran se retrouve soit plus proche soit plus éloigné que la « règle » des 50% que je viens d’expliquer, alors il y a un vrai risque pour que votre revers fasse « daté ». Mais franchement le grand public est encore très très loin de tout cela et je trouve même que le marché est tout juste en train de revenir à des proportions raisonnables, après une période de revers minuscules et ridicules.
7) Enfin, je pense que le vrai problème aujourd’hui n’est pas la taille des revers, mais plutôt la tendance des vestes à se raccourcir et celle des crans à être positionnés exagérément trop haut sur les vestes. Mais c’est un autre débat.
Dirnelli : Tumblr