Snob : voilà un mot source d’innombrables confusions. Vous le verrez employé par des personnes qui se méfient des gens en costume ; mais vous le verrez dans le même temps illustré par de jeunes Rastignac maladroits.
Ceux qui savent, ceux qui ne savent pas : voilà le noeud de l'intrigue. Un cocktail où vous vous présentez, trop habillé par rapport aux autres convives. Un dîner où l'on vous foudroie du regard parce que vous déclarez ingénument n'avoir pas vu la dernière Palme d'or du festival de Cannes. Une réception familliale dans votre région natale, où vous vous comportez comme Charles Grandet, et vantez avec une satisfaction agaçante Paris et ses merveilles.
Le snobisme peut être assumé, et même clamé. Mais le vrai snobisme, celui qui m'intéresse ici, est celui qui s'ignore : je pense même que l'ambiguïté du snobisme tient en fait au rapport que celui-ci entretient avec la mauvaise foi. Un narcisse en cravate oublie opportunément qu'il est précisément ce qu'il prétend moquer. Surgit alors la fatale exclamation : "Mais je ne suis pas snob, je ne me prends pas au sérieux !". Une dénégation, qui, vous vous en doutez, ne vaut rien si le reste de l'attitude démontre l'inverse.
Vous pourriez me reprocher de n'avoir pas encore caractérisé ce dont je parle. Soit, je plaide coupable. Voici une brève définition, tout à fait personnelle : le snobisme consiste à penser que le savoir dont on dispose sur quelque sujet confère une supériorité morale, et par extension, un droit au dédain. Car pour crier au snobisme, je considère qu'il faut au moins attendre la manifestation d'un amusement délibéré.
J'ajoute qu'il faudrait distinguer snobisme et élitisme, qui partagent la conscience (évidemment discutable) d’une supériorité, mais qui ne reposent pas sur les mêmes ressorts. Le snobisme confine à la raillerie, à la pique, là où l’élitisme paraît plus diffus : il imprègne les décisions, les choix, les déclarations d’intention etc. Aujourd'hui, j'observe que snobisme et élitisme tendent à se confondre. Le snobisme chimiquement pur, chose pourtant fort amusante à regarder, s'oublie dans une forme de mépris plus ou moins conscient, et il faut le dire, assez peu grandiloquent.
J'en viens au coeur de mon propos : j'ai la conviction que le propre du snobisme est de ne pas connaître de fin. La loi du snobisme n’est pas différente de la loi du plus fort, et condamner autrui à la moquerie, c’est accepter soi-même d’être un jour la victime de quelqu'un de plus habile et malicieux. C'est là la triste mais simple vérité : nous sommes toujours la risée de quelqu'un. La vraie élégance reste de voiler humblement ses avantages si on se trouve en avoir en quelque matière – ou de venir discrètement en aide à ceux qui ne sauraient pas et qui pourraient vouloir notre aide. N'est-ce pas là ce que nous aimerions qu'autrui fasse si les rôles étaient inversés ?
Je distinguerai en réalité un mauvais, et un bon snobisme, et ce n'est pas là une pirouette rhétorique. D'un côté, l'attitude hypocrite de ceux qui le dénonceront en paroles, mais lui donneront pleine expression, en actes, chaque jour. De l'autre, un snobisme plus réflexif : un snobisme qui se moque de lui-même. Oui, être vraiment snob, c'est s’amuser avant tout de soi-même. La seule distance critique qui soit vraiment satisfaisante, c'est celle que le snob entretient avec ses propres actions et ses propres pensées. Le stade suprême du snobisme repose sur une soif d’ironie, une auto-critique virulente et saine – qui nous fait sourire froidement de nos écarts, nos bêtises, nos préjugés. Se moquer d’autrui ? Voila qui est non seulement facile, mais surtout un peu vulgaire. Il suffit d’inventer un système normatif dont les lois sont comprises d'un seul ou de quelques-uns, et nous voilà maîtres d’un savoir, et donc juges du vrai et du faux, du pertinent et du stupide. Mais se juger soi-même avec ironie, voilà le vrai défi. Il y a là de quoi occuper toute une vie. Car les ridicules et les petites hontes sont partout là où on accepte de regarder - mais encore faut-il avoir le courage de fixer le miroir. Je ne vous parle ni d’auto-flagellation, ni d’une perpétuelle remise en question mortifère. Mais avouez qu'il n’y a guère de gloire à souligner, commenter, pointer du doigt une supériorité quand on est persuadé d'en posséder une. La vanité n'est-elle pas contraire à l’élégance ? A l'inverse, les personnes les plus admirables que je connaisse sont celles qui, quoique exigeantes envers autrui, n’en oublient jamais de l’être davantage avec elles-mêmes.
Je vous souhaite une excellente semaine,
LL
Photo d'illustration : @katerynakomar.ph