Gentlemen,
voici donc, déjà, la dernière partie de cette série d'articles relatant mon récent périple londonien. Et, hasard des agendas, cette étape finale va me faire quitter Savile Row et même Mayfair, pour me diriger dans un quartier de Londres à l'ambiance complètement différente - doux euphémisme - puisque le quartier en question abritait, il y a encore peu, tout ce que Londres comptait d'activités et d'établissements interlopes.
Mais avant d'entrer dans le monde très créatif et assez bluffant de Timothy Everest, un petit résumé des épisodes précédents s'impose. Ma première journée avait été très intense puisque j'avais enchaîné une visite éclair du salon Bespoke de Turnbull & Asser, puis des visites plus détaillées des maisons Thom Sweeney, Anderson & Sheppard, Huntsman & sons et Norton & sons.
Après une telle journée, il était temps pour moi de rentrer au Duke’s où j’avais rendez-vous avec James Sherwood et Lorenzo Cifonelli qui, hasard du calendrier, était également présent ce soir là à Londres où il venait d’effectuer des essayages avec certains de ses clients londoniens.
Au programme de la soirée : un cocktail (magnifique) au bar (magnifique) du Duke’s suivi d’un diner chez Wiltons, LE restaurant de Jermyn Street en compagnie de ces deux gentlemen avec lesquels j’ai noué, au fil du temps, des relations très cordiales. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas le travail de James Sherwood, je me permets de rappeler ici son livre sur Savile Row paru l'année dernière en France et son dernier livre, sublime mais non disponible en français, consacré au fameux "Royal Ascot" (dont nous aurons l'occasion de reparler bientôt dans ces colonnes).
L’objet de notre diner était, lui aussi, en tous points passionnant, puisque que James Sherwood et moi-même travaillons depuis peu à un projet de grande envergure visant à réunir les 20 plus grandes maisons de Bespoke au monde et à organiser pour l’une des prochaines éditions du Pitti Uomo à Milan, une exposition dédiée à l’art tailleur. Il ne s’agit à ce stade que d’un projet (dont je suis ravi de parler pour la première fois dans ces colonnes), mais vu les réactions très positives qu’il semble déclencher chez les plus grandes maisons de Bespoke en Angleterre, en France et en Italie, nous allons travailler d’arrache pied pour qu’il voit le jour, peut-être début 2013. Wait and see...
Après une courte nuit de sommeil et un réveil matinal pour suivre à la télévision anglaise – une expérience assez étrange – le quart de finale de la Coupe du Monde de Rugby opposant la France à l’Angleterre, je me suis remis en route, le cœur léger et la victoire modeste (quoique) en direction du dernier rendez-vous de mon périple londonien : l’atelier de Sir Timothy Everest situé dans le désormais très dynamique - et moins interlope - quartier de Spitalfields.
Timothy Everest, tailleur mythique ayant fait ses armes chez le non moins mythique enfant terrible du Row des années 70 Tommy Nutter, est ce qu’on appelle un personnage, au sens propre du terme.
D’ailleurs, le simple fait qu’il m’ouvre les portes de son atelier un samedi matin alors que celui-ci est normalement fermé (comme, assez bizarrement d’ailleurs, toutes les maisons du Row) témoigne déjà de sa passion et de l’enthousiasme presque adolescent dont il fait preuve lorsqu’il parle de son métier, de sa vision de l’art tailleur et des multiples projets qu’il mène avec son équipe, au demeurant également assez jeune et quasi exclusivement féminine !
Passer un moment avec Tim, vêtu pour l’occasion d’un costume trois pièces en tweed du début des années 80, est donc une expérience particulière qui commence avec la découverte de son atelier… Un endroit très spécial, situé dans une petite ruelle de Spitalfields et qui se démarque radicalement des ambiances traditionnelles du Row.
Il s’agit d’une maison sur trois étages, décorée avec goût (avec à l’évidence des objets et du mobilier de collectionneur) et dans laquelle un système Hi-Fi d’ultra haute fidélité (dont des haut-parleurs d’exception de chez B&W, le modèle "Signature 805", les amateurs apprécieront) distille une ambiance sonore particulièrement agréable.
Le très extraverti Tim commence alors à m’expliquer sa vision du métier de tailleur sans, un seul instant, mettre l’accent sur ses produits pourtant, au premier coup d’œil, très originaux et de très belle façon.
En quelques mots, Everest défend une vision alternative du Bespoke tailoring et explique que, selon lui, les frontières entre le stylisme masculin (moderne mais de bon goût) et l’art tailleur devraient définitivement disparaître car l’élégance masculine peut et devrait se conjuguer avec le meilleur des deux mondes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Timothy Everest n’utilise pas le mot Bespoke Tailoring, mais « Fine Tailoring » sur tous ses accessoires (ses cintres notamment).
C’est une approche qui, chez Tim Everest, va bien au delà des mots et des déclarations d’intention puisque tous les costumes, manteaux, vestes et même chemises que j’ai pu regarder chez lui, sont la concrétisation de cette vision différente du métier de tailleur.
J’ai pu notamment découvrir une petite collection de prêt-à-porter tout à fait remarquable dessinée par Tim et fabriquée au Portugal. Ces produits proposent des lignes audacieuses (sans excès), des tissus de grande qualité, et des montages semi-entoilés d’excellente façon, le tout à des tarifs très placés pour des produits d’une telle qualité puisqu’il vous en coûtera 600£ (soit 700 euros) pour un costume deux pièces.
Ensuite, la maison Everest propose une belle collection de demi-mesure dans le même esprit « classic with a twist » (à partir de 950 £) et, bien sûr, une offre Bespoke traditionnelle (à partir de 2700 £) réalisée dans les règles de l’art, mais avec ce petit rien d’originalité qui vient signer les vêtements sortant de cette étonnante maison.
A l’étage j’ai pu également admirer la créativité débridée de l’individu avec, notamment, quelques vestes de cyclisme étonnantes et des rééditions de vestes en hommage à Tommy Nutter, proposant des poches plaquées à damier et des cols châles… « Not my cup of tea » comme on dit à Londres, mais je dois avouer être resté quelque peu interdit devant une telle liberté d’expression sartoriale.
Enfin, «last but not least », Timothy a exhumé pour moi un authentique costume de 1971 (de chez Tommy Nutter bien sûr) qu’il venait juste de récupérer et qu’il m’a permis de photographier.
All photos © Andy Barnham
En bref, le monde de Timothy Everest est un monde vraiment à part qui, même si quelques unes de ses créations manquent parfois un peu « d’understatement » à mon gout, force le respect et l’admiration.
Ainsi s’est donc conclue ma passionnante escapade londonienne, et lorsque je me dirigeais en taxi vers la gare de St Pancras (après avoir profité d’un déjeuner particulièrement détendu avec Timothy et Andy), je ne pouvais m’empêcher de penser que même en ce jour de défaite pour leur équipe nationale de rugby contre la France, ces Anglais étaient quand même très forts.
God save the Queen and British Bespoke Tailoring !
Cheers, HUGO