Suzanne Julliard a publié, l’année dernière, une merveilleuse Anthologie de la prose française que tous les amoureux des belles lettres et de la littérature française devraient s’empresser d’acquérir tant l’ouvrage est à la fois érudit et accessible. J’aurais d’ailleurs adoré avoir Madame Julliard comme professeur de lettres durant ma scolarité. Mais encore eut-il fallu que je fusse élève de khâgne au Lycée Fénelon à Paris, ce qui fut (très) loin d’être le cas, à la fois parce que j’étais un simple provincial et – surtout – parce que mon relevé de notes, et mon assiduité scolaire, n’étaient en aucun cas au niveau des pré-requis en la matière.
En novembre dernier, Alain Finkielkraut a reçu, dans son excellente émission « Répliques » sur France Culture (sans aucun doute mon émission radiophonique préférée depuis des années), l’érudite – et pédagogue – Suzanne Julliard et le fantasque – et talentueux – Fabrice Luchini pour une discussion aussi jouissive que jubilatoire autour du thème : « La poésie de la prose ».
Cette émission savoureuse et exaltante (que je ne peux que vous enjoindre à podcaster sur le site de France Culture) m’inspire aujourd’hui – toutes proportions gardées (si j’ose dire) – quelques parallèles avec notre sujet de prédilection : le style masculin.
Cela faisait, en effet, un bon moment que j’essayais de mettre des mots et surtout de renouveler les idées et les concepts sur notre « mouvement » sartorial et sur ce qu’il convoyait, et ce, bien au delà des « simples » beaux vêtements et même du soi-disant comportement de gentleman, dont les louanges sont chantées ad nauseam par les sites de « Do’s and Dont’s » qui continuent de nous vendre une étiquette et des attitudes depuis longtemps révolues.
Pour côtoyer quotidiennement des hommes particulièrement bien habillés et au style indéniable, je peux ainsi témoigner ici que le comportement et le style restent deux sujets plutôt séparés même si, indéniablement, l’un alimente l’autre et inversement. Mais c’est un autre débat que nous prendrons peut-être le temps un jour de traiter dans ces colonnes.
Mon intuition d’aujourd’hui consiste plutôt a essayer d’établir certains parallèles – au demeurant assez troublants – entre les genres littéraires et le style vestimentaire. Ou, pour le dire de manière plus directe, d’essayer d’expliquer pourquoi, à mon sens, la démarche sartoriale consiste en réalité à ajouter un peu (beaucoup) de poésie dans des quotidiens humains pour le moins prosaïques.
Dans cette lumineuse émission radiophonique, Suzanne Julliard, parfaitement secondée par un Luchini au meilleur de sa forme de diseur génial, fait d’ailleurs le distinguo entre le poème en prose, la prose poétique et la poésie de la prose. Et là encore, les parallèles qui se révèlent avec notre passion pour le style personnel sont troublants…
Inauguré par le célèbre « Gaspard de le Nuit » d’Aloysius Bertrand au début du 19ème siècle, et popularisé par l’immense Charles Baudelaire avec, notamment, le Spleen de Paris, ce genre littéraire n’utilise pas les techniques de rimes et de versification de la poésie « traditionnelle », mais reste, tout de même, dans une forme close (avec des laisses, des allitérations, des assonances et autres oxymores). C’est un genre qui se caractérise par la gratuité de son propos : l’idée est de créer un effet poétique sans pour autant tenter, en apparence au moins, de raconter une histoire ni de faire passer un message.
Ce genre donnera d’ailleurs naissance à des textes pour le moins obscurs comme le cryptique « Une Saison en Enfer » d’Arthur Rimbaud.
Ce genre littéraire, par ailleurs très mal délimité, n’a pas, à mon sens, de réalité vestimentaire stylistique aujourd’hui (où tout est message) et a peut-être trouvé sa traduction sartoriale directement chez ses auteurs, de Baudelaire à Rimbaud.
C’est plutôt de ce coté-ci que mon intuition se situe, car il ne s’agit, évidemment, que d’une intuition personnelle et en aucun cas d’une théorie.
La prose poétique, on peut la trouver chez de très nombreux auteurs, romanciers et mêmes philosophes : c’est un moment (généralement court) de magie rythmique, de musique inattendue, d’accent poétique qui déboule sans crier gare au milieu d’un récit, d’un essai ou d’un roman.
En traduction sartoriale, la prose poétique, c’est la magie d’un simple petit mouchoir en coton ou en soie, celle d’un mi-bas en fil d’écosse, celle d’une jolie poche poitrine en forme de barque (« barchetta ») ou celle d’un discret motif Glen Urquhart Plaid très « fondu » venant ajouter une touche poétique salutaire à l’austérité prosaïque des tâches quotidiennes…
C’est Gustave Flaubert qui a introduit cette notion d’exigence poétique dans la prose, cette obsession d’excellence dans la langue et dans le vocabulaire, celle à laquelle l’on aspire également très vite lorsque l’on emprunte le chemin de l’élégance vestimentaire personnelle.
« On arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée. A force de chercher, je trouve l’expression juste, qui était la seule et qui est en même temps l’harmonieuse ».
Quand je lis ces lignes je ne peux m’empêcher de penser à certains de mes amis (ils se reconnaîtront) mais aussi à l’approche sartoriale que nous défendons dans ces colonnes : celle de l’exigence vis-à-vis de vous-même, la seule qui soit propre à vraiment modifier le cours de votre existence et à vous procurer moult bienfaits et satisfactions insoupçonnés au quotidien.
Il ne s’agit cependant pas de tomber dans des comportements extrêmes (à la Flaubert) et de transformer la recherche de style en obsession. Il s’agit en revanche d’instiller dans nos vies, par définition prosaïques, la juste dose de poésie qui transformera une obligation, s’habiller, en un plaisir, se vêtir.
Le tout en n’oubliant jamais ce que l’immense Marcel Proust disait à propos du style en littérature ou en peinture (et que nous prenons la liberté d’étendre aujourd’hui à notre domaine) : « Le style est une question non de technique, mais de vision ».
Amen.
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Image d’ouverture et dernière image : Stile Latino par Lyle Roblin pour PG
Image mouchoir : Simonnot Godard par Lyle Roblin pour PG.