Le dépareillé, ou l'art de l'accord majeur

Agathe VIEILLARD-BARON
31/3/2025
Le dépareillé, ou l'art de l'accord majeur

Le costume dépareillé - ou abito spezzato, en VO - est un des classiques de l’élégance contemporaine. Il séduit de nombreux adeptes, et ce, pour plusieurs raisons : 

  • il s’adapte à tous les moments de votre journée, de la réunion à 9h le lundi matin, au café entre amis, jusqu’au repas de famille ou au rendez-vous romantique. 
  • c’est un style plus facile à assumer et à s’approprier quand on débute dans le costume. 
  • c’est le moyen idéal de diversifier ses tenues possibles, sans se ruiner. Acheter des pièces qui pourront se porter autant en costume complet qu’en dépareillé est le gage d’un investissement sûr. 
  • le dépareillé vous permet de multiplier les nuances de l’élégance, notamment dans l’accessoirisation : bottines, mocassins, baskets, casquette, chapeau, foulard, cravates… on apprend à jouer de tout pour atteindre le résultat souhaité. 

Synonyme de polyvalence et d’une certaine décontraction, il serait cependant trompeur de croire que son port serait plus aisé que celui de son jumeau uniforme. C’est même le contraire : avec un costume complet, vous êtes (presque) certain de ne pas faire d’erreur - et si vous n’êtes pas sûr de vous, vous êtes, sur ce blog, au bon endroit. 

Le costume dépareillé s’apparente à l’improvisation musicale : c’est en maîtrisant quelques règles simples que l’on parvient à créer l’harmonie. Petit tour dans les accords et désaccords du dépareillé. 

Il s'agit tout d’abord de diagnostiquer avec un peu de précision les pièces de votre garde-robe : casual (décontracté en bon français), quotidien, formel, et très formel. Oui, vous pouvez, dans l’absolu, porter un beau denim avec une veste sur-mesure. Et oui, dans l’absolu, il n’est que peu de règles dont la transgression ne soit à la fois jouissive et créative - et même, parfois, réussie. 

Mais laissons pour l’instant les envolées lyriques aux virtuoses du textile, et concentrons-nous sur nos premières gammes. De manière générale, sachez identifier pièces estivales, hivernales et de mi-saison. Savoir quelles pièces relèvent d’une même saisonnalité vous permettra, tout d’abord, d’éviter les fausses notes. Développez votre sensibilité aux teintes, aux textures, aux nuances et aux motifs, et piochez votre inspiration partout où vos pas vous mènent : dans la rue, sur Instagram, sur Pinterest, et pourquoi pas, dans les films. 

Exemple d’un dépareillé des plus maîtrisés, par la marque Ardentes Clipei (Lookbook Printemps-Eté 2019) : le vert du motif de la veste est mis en valeur par une chemise de couleur en denim. Celle-ci est rappelée par la pochette Simonnot Godard, dont le roulottage est aussi bleu. Par un effet d’optique, la rayure verte apparaît presque bleue dans cette tenue - une résonance d’ensemble étant ainsi créée. Le pantalon blanc aère la tenue et propose un contraste avec le haut de celle-ci. 

Dans l’absolu, un pantalon s’adaptera à un plus grand nombre de pièces s’il respecte ces quelques règles : 

  • une taille haute, ou semi-haute, dans laquelle vous vous sentirez à l’aise 
  • une seule pince, pour éviter le côté trop extravagant d’une double pince 
  • un tissu au tombé impeccable, sans pour autant “alourdir” la tenue. 

De même, certaines couleurs composeront une garde-robe aisément “dépareillable” : le beige, le gris, le bleu, le brun, dont vous pourrez décliner les nuances, tout en y insérant des pièces plus audacieuses à mesure que vous vous sentirez plus à l’aise. 

Évitez le ton sur ton, un bémol est vite arrivé. 

Apprenez également à identifier une pièce forte, et composez votre tenue autour de celle-ci. Des finitions singulières, double pince, ou double patte de boutonnage, dans le cas du pantalon, suffiront à attirer le regard. Vous pourrez privilégier un polo, ou une chemise assez simple, et votre paire de chaussures habituelles. A l’inverse, si vous souhaitez attirer tous les regards sur votre magnifique col contrasté, dont la pelle à tarte ferait pâlir d’envie Tony Montana, inutile de sortir votre pantalon de solaro vert aux reflets moirés. 

Ou, si je m’adresse à nouveau à nos lecteurs mélomanes : sans récitatifs, un opéra qui ne serait qu’une suite d’arias serait d’un ennui mortel. Ou épuisant. 

Exemple d’un ensemble proposé par la célèbre maison Cifonelli. La pièce forte est ici cette veste vieux rose au tissu texturé particulièrement remarquable. Pour faire ressortir cette pièce, rien de tel que le blanc et la chemise aux rayures très légères. La pochette, elle, réaffirme le contraste. 

Pour le dépareillé, ce n’est pas parce qu’il ne faut pas porter des pièces trop opposées qu’on doit, pour autant, négliger l’intérêt du contraste : contraste de couleurs, mais aussi de matières (textile plus ou moins texturés, au grammage plus ou moins lourd). La cohérence n’exclut pas la créativité - évitez cependant le contraste tweed / lin, ça pourrait faire mauvais genre.

Le dépareillé est un superbe moyen de se lancer dans le style workwear, ou casual. Un pantalon très habillé - votre gurkha ou D-ring préféré - se mariera ainsi à merveille avec une veste de style aviateur ou saharienne un peu plus lâche. 

Un exemple de tenue workwear, par Blandin & Delloye (tenue proposée en septembre 2024). La chemise est en twill bleu ciel, le pantalon en flanelle grise, et la tenue a pour pièce forte une veste workwear en velours bleu. L’harmonie bleue entre la chemise et la veste, et les tons clairs du pantalon et de la chemise, permettent un double contraste particulièrement réussi, le tout avec des couleurs froides. 

A l’autre pôle, cet accord entre un jean ajusté et une veste au style pointu, l’Experimental DBJ01 Jacket, fruit de la collaboration entre les maisons Abensia et Caulaincourt. La flanelle de laine rayure craie propose une version plus artistique du motif de la rayure, en proposant également une pièce plus facile à accorder à des pièces plus casual. 

Porter un pull ou un cardigan au-dessus de votre chemise, sous votre veste, vous offrira quelques accords en layering du meilleur effet. Presque un trois pièces fait maison, en somme. Les rayures font quant à elles souvent ressortir la pièce plus texturée qui leur est opposée. 

En espérant que ces quelques idées vous auront permis de vous familiariser avec le dépareillé et ses quelques règles, je tire ma révérence à la fin du prélude : à vous de jouer !

Couverture : Fratelli Mocchia di Coggiola, collection Magnus LAPD