Il est des couleurs dont l’histoire et la symbolique sont plus complexes qu’il n’y paraît. Le violet, avec son cortège de nuances, pour la plupart, florales - lilas, lavande, pervenche, orchidée, iris, glycine, etc…- a pour rival, frère, ou voisin, la teinte pourpre, à laquelle il faut bien faire un sort. La similitude entre les deux couleurs - pourpre et violet correspondent peu ou prou à l’anglais “purple” - me conduit ici à traiter de front la question de leur usage dans le vestiaire de l’élégance, de l’Antiquité à nos jours.
Un peu de technique, tout d’abord : sur le diagramme chromatique, on identifie la “droite des pourpres”, qui prend place entre le rouge monochromatique et le bleu monochromatique. La langue française distingue, d’un côté, les pourpres, proches des rouges et, d’autre part, les violets, proches des bleus. Cette distinction est présente dès l’époque antique : les deux couleurs sont issues d’un coquillage, le murex, présent sur les rives de la Méditerranée, et dont la poudre est tantôt violette dans les régions moyennes, et tantôt rouge, dans les régions méridionales. D’où une confusion qui demeure aujourd’hui chez nos voisins d’outre-Manche, qui ont choisi de ne pas distinguer le violet du pourpre.
“Le” ou “la” pourpre, d’ailleurs ? L’emploi au féminin désigne la matérialité de la couleur: les pigments, mais aussi l’étoffe teinte, ou encore la symbolique qui relève de cette dernière. Le masculin, quant à lui, permet d’évoquer la couleur : le pourpre de ses joues ou celui de son smoking.
Le coût de fabrication élevé de cette couleur explique sa rareté dans l’Antiquité, ainsi que l’usage la réservant aux plus hautes fonctions de l’Etat. La largeur de la bande pourpre sur le vêtement, appelée ostrum, pouvait signaler un sénateur (laticlave) ou un membre de l’ordre équestre (angusticlave). Dans l’Empire byzantin, c’est l’usage du porphyre qui prolonge cette habitude.
Retenons simplement que les traditions catholiques et anglicanes reprennent, au cours des siècles suivants, la tradition de la pourpre. Les cardinaux sont ainsi “élevés à la pourpre cardinalice”. Fait notable, cette pourpre originelle est peu à peu devenue une couleur écarlate, nécessaire à la distinction entre les cardinaux et les évêques, habillés de violet. Notez que dans la spiritualité bouddhiste, seuls les moines les plus accomplis peuvent se vêtir de violet.
L’élégance vaticane et la pourpre ecclésiale sont à l’origine d’une maison bien connue de notre communauté : Mes Chaussettes rouges. Celle-ci, fondée en 2009 par Vincent Metzger et Jacques Tiberghien, obtient de la célèbre maison romaine Gammarelli, située rue Santa Chiara, à Rome, le droit de vente des célèbres mi-bas rouges, violets et noirs, des cardinaux, évêques et prêtres. Très vite, les deux fondateurs élargissent leur gamme de couleurs et proposent désormais des mi-bas, mi-hautes et autres Super Solides de qualité. La cardinalice a fait son chemin, et se loge désormais rue César Frank, à Paris.
Mais revenons à notre histoire du vêtement. La raréfaction du murex et l’industrialisation des processus de fabrication textiles poussent la pourpre vers la synthèse. Le guano péruvien ou l’orseille française, tirée du lichen, proposent des alternatives chimiques à l’origine minérale de cette couleur. La mauvéine, synthétisée en 1853, devient une des attractions principales de l’exposition universelle de 1862. La reine Victoria et l’impératrice Eugénie l’adoptent immédiatement, et lancent la mode des mauves en Europe.
A la fin du XIXe siècle, ce sont les Suffragettes qui adoptent le violet - couleur qu’aucun mouvement politique n’avait encore revendiquée - comme symbole de ralliement, geste prolongé par la tradition féministe.
Couleur tantôt baroque et extravagante, tantôt solennelle, l’histoire du violet croise celle de la mode et de la haute couture au XXe siècle.
Une version originale du costume pourpre est proposée par Churchill qui, observant la tenue de travail des maçons du Kent ou “boiler suit”, demande à son tailleur Turnbull & Asser, de lui confectionner une tenue sur le même modèle. Cette combinaison est réalisée en flanelle pourpre, et baptisée “siren suit”, d’après l’usage qu’en fait le premier ministre : il l’enfile en effet dès que retentissent les sirènes signalant des bombardements sur Londres.
Kim Jones, directeur artistique de Dior Hommes entre 2018 et 2020, décide quant à lui, d’intégrer différentes nuances de violet dans ses créations de costumes - le lilas et le mauve, notamment. L’exploration des teintes plus pâles de cette couleur va de pair avec l’investissement de certaines teintes auparavant perçues comme plus “féminines” par une mode qui refuse d’attribuer les couleurs à l’un ou l’autre sexe.
Le smoking connaît une évolution similaire; auparavant taillée dans des couleurs sobres, noir ou bleu nuit, pour mettre en valeur les tenues de soirées des femmes, plus colorées et bigarrées, la smoking jacket s’approprie à son tour les tons pourpres ou violets. Objet de mode à part entière, il se place sous la lumière des projecteurs.
La destinée de la pourpre et du violet n’est pas finie ; “Purple Label” est ainsi le nom choisi par la marque Ralph Lauren pour la ligne de haute qualité lancée en 1995. La promesse de cette étiquette violette reconnaissable : les tissus les plus fins, la qualité la plus professionnelle, en vue d’une longévité exceptionnelle conférée aux pièces ainsi conçues.
Couleur à double tranchant, la pourpre met à l’épreuve son emploi sartorial. Sa déclinaison entre le bleu et l’écarlate - magenta, prune, byzantium, ou zinzolin - ouvre un large horizon à la création textile, tout en exigeant beaucoup de doigté dans ses usages et ses accords.
Le smoking violet reste une pièce audacieuse; il est ici porté par Laetitia Hedde dans une version vintage créée par Armani.
Le violet peut être utilisé comme une touche de couleur dans un ensemble plus clair, comme ici en cravate, par Raphaël Sagodira.
Le costume violet est extravagant, mais marquant. C’est le cas dans cette création signée Fratelli Mocchia di Coggiola, portée par Massimiliano M.d.C.
L’artiste peintre joue ici de l’élégance exubérante du violet, et n'en est d'ailleurs pas à son coup d'essai, si l'on en juge par certains détails de la collection "Beautiful People" :
Panit “P” Wattanakuji (@panit_p, @theprimaryhaus) propose une autre version de la veste violette, avec une coupe droite :
Dans cette autre photo, cette veste offre un superbe contraste avec le tissu solaro violet de @signore_closet. L’art de la pochette est consommé, et permet de mettre en valeur la diversité des teintes et des reflets :
La marque Caulaincourt, que nous avons accueillie plusieurs fois sur ce blog ou en vidéo, explore quant à elle les nuances du violet dans des modèles aussi élégants qu’innovants :
Je vous laisse sur ces quelques inspirations et vous souhaite, chers lecteurs et lectrices, une belle semaine !
Agathe V.B.
Crédit photo de la couverture : Marc Guyot
Photo de la broche : Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license
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