Gentlemen,
en matière d'élégance masculine, comme dans beaucoup de domaines de la vie, certaines idées reçues ont non seulement la vie dure, mais semblent en outre "régir" silencieusement le jugement commun des hommes, comme autant d'évidences dont on ne questionne même plus la validité et encore moins les origines.
Dans le domaine du vestiaire masculin classique, les exemples d'idées reçues (ou de croyances erronées, ce qui est souvent la même chose) sont, évidemment, légion et sont d'ailleurs souvent entretenues et disséminées par les vendeurs en boutique, soit par intérêt (pour vanter un détail) soit par pur manque d'éducation.
Les plus "célèbres" de ces idées erronées, mais encore très vivaces dans l'esprit de beaucoup d'hommes, concernent les détails signant, soi-disant à coup sûr, un costume de qualité et, à fortiori, un costume en Grande Mesure. Nous parlons ici, évidemment, de la sempiternelle histoire des boutonnières de manches actives, des monogrammes (trop) voyants dans les doublures et autres sur-piqures de revers, largement sur-vendus comme des détails "tailleurs" par des vendeurs de prêt-à-porter surfant sur la vague de l'intérêt nouveau des hommes pour leur style personnel.
Pour éviter d'enfoncer de nouveau des portes ouvertes depuis belle lurette, nous nous contenterons de rappeler ici que ce qui signe à coup sur une veste de belle façon et, à fortiori une veste Bespoke, ce ne sont pas ces détails non essentiels et assez facilement imitables, mais quelque chose de beaucoup plus global ayant à voir avec la ligne, la posture, le tombé naturel et l'aisance.
Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, le monde de la Grande Mesure n'échappe pas, lui non plus, à certaines idées reçues comme celle, particulièrement résistante, dite des "rayures alignées" au niveau de la couture de la ligne des épaules sur une veste à rayures craie ou tennis.
Je suis sûr que certains d'entre vous se sont souvent fait sur-vendre ce détail comme celui vous garantissant l'achat d'une veste de tradition. Ce qui, nous allons le voir, est un contre-sens absolu.
L'exemple ci-dessous montre même que certains vendeurs de prêt-à-porter bas de gamme n'hésitent pas à utiliser le subterfuge des "lignes continues" pour faire passer de la vulgaire confection thermo-collée pour du fait-main. Ainsi l'annonceur ci-dessous explique que, nous citons, "ce détail des matching lines est introuvable en prêt-à-porter" avant de proposer ce costume de tradition à... 250 euros.
Et sans préjuger du rapport qualité-prix du costume présenté sur cette photo (après tout pour 250 euros c'est peut-être une affaire), cette "réclame" un rien tapageuse nous donne un excellente occasion d'aborder ici un principe fondamental, bien connu des vraies maisons de couture et de grande mesure, et qui vient non seulement battre en brèche cette idée reçue mais également démontrer que des "lignes continues" sont justement plutôt le signe d'un montage.... à la machine. Explications.
La zone de l'épaule est une zone complexe pour le tailleur, car elle présente un aspect assez droit et plat sur la face avec une structure osseuse assez précise, alors qu'elle est convexe, arrondie et musculeuse sur l'arrière.
Pour une veste classique, le tissu est coupé en deux parties qui seront cousues ensemble au niveau de la ligne des épaules. La règle fondamentale, c'est que la coupe de tissu dédiée à partie arrière de la veste sera toujours un peu plus grande que celle de la partie avant, afin de respecter la morphologie humaine. Ce qui amène une première observation simple : lorsqu'un tissu rayé est coupé en deux parties non égales, il devient très problématique (si ce n'est impossible) de faire s'aligner exactement les rayures. C'est mathématique.
En Grande Mesure, les tailleurs optent généralement pour un surplus de 3/4 de pouce (soit un peu moins de 2 cm) de tissu sur la partie arrière (comme vous pouvez le voir ci-dessous) pour un maximum de confort, de souplesse et de netteté de la ligne.
C'est ensuite le savoir-faire et, littéralement, le tour de main du tailleur (et de son fer à vapeur ) qui fera le reste pour faire "entrer" le surplus de tissu harmonieusement dans la couture et aboutir, à force de travail et de doigté, à une ligne d'épaule à la fois "nette" et superbement naturelle comme ci-dessous :
En prêt-à-porter, afin de permettre aux machines d'assembler les deux pièces de tissu ensemble en quelques secondes (ce qui est impossible avec 2 cm de différence), l'écart entre l'avant et l'arrière est réduit à 3/8 de pouce, soit moins d'un centimètre, et parfois à encore beaucoup moins... Il en résulte, avec l'insertion de padding (rembourrage) et quelques autres gâteries techniques, une ligne d'épaule certes très nette mais, à notre sens, particulièrement artificielle et inélégante. Trop nette et trop droite.
Donc pour résumer, plus nous allons vers le prêt-à-porter de masse, plus la différence de taille entre la partie avant et la partie arrière est restreinte (pour permettre aux machines de se substituer à la main de l'homme) et donc plus les chances sont grandes... d'obtenir des rayures alignées !
Alors même si le rendu visuel des "matching lines" n'est pas désagréable (question de goût), vous savez désormais qu'il ne préjuge en rien de la qualité d'un vêtement et encore moins de son montage main. Bien entendu, il sera toujours possible à votre tailleur, au moment où il fera rentrer à la main la partie arrière dans la couture et quand il travaillera sa netteté à la vapeur, de chercher à rapprocher les lignes et même à y parvenir... mais toujours au détriment du confort, de la fluidité et du tombé naturel (cette dernière remarque étant particulièrement vrai pour les montages d'épaules dits napolitains, sans aucun padding).
Donc la prochaine fois que vous sortirez dans la rue avec votre magnifique costume croisé à rayures craie désalignées, n'ayez plus de complexe et dites vous que dans un monde normé, banal et codifié, il est parfois réjouissant de savoir se désaligner en toute conscience et en toute... discrétion.
"Any fool can know, the point is to understand. " Einstein.
Cheers, HUGO
Source : The English Cut