Cela fait un long moment que nous nous intéressons, chez PG, au travail de Riccardo « Freccia » Bestetti, bottier atypique et, à certains égards, mystérieux, installé à Vigevano, jolie ville de la province de Pavie en Lombardie située à moins d’une heure de Milan.
Il faut dire que Freccia (qui, pour la petite histoire, est le surnom de Riccardo utilisé par toute sa famille et se traduisant, littéralement, par « la flèche »), n’est pas du genre prolixe et semble se plaire – intentionnellement ou non – à entretenir une sorte d’écran de fumée autour de son travail, de sa production et de ses projets (et aussi autour de ses délais de livraison, nous y reviendrons…)
Lorsque nous avons découvert Bestetti fin 2010, nous avions été, chez PG, et je pèse mes mots, littéralement subjugués par les souliers de Freccia qui ne ressemblaient à aucun autre sur le marché à l’époque et auxquels nous prédisions un succès planétaire.
Ses formes, ses patronages et ses patines apportaient, en effet à l’époque, un vent nouveau sur un marché de la chaussure masculine en pleine renaissance pour ne pas dire en pleine révolution.
J’étais même allé jusqu’à écrire que Bestetti allait selon moi apporter (toutes proportions gardées) avec ses formes audacieuses, son approche résolument artistique de la discipline et sa totale liberté d’expression, ce que Berluti avait apporté au marché dans les années 80 avec le Warhol ou l’Alessandro one cut ou ce que Pierre Corthay allait apporter dix ans plus tard avec l’Arca, son emblématique derby deux oeillets.
Pourtant, je dois avouer que nos espoirs avaient été un peu déçus car malgré ces grandes promesses, malgré une notoriété désormais planétaire dans le (petit) monde des amoureux des beaux souliers, malgré un quasi culte autour de son nom, malgré des trunk-shows chez le formidable Leffot à New York ou une diffusion chez l’excellent Sir Max à Amsterdam, Bestetti n’avait pas encore, jusque très récemment, tout à fait quitté le monde de l’underground avec, toutes gammes confondues, à peine plus de 600 paires réalisées chaque année.
Comme nous avons rendu visite la semaine dernière, avec Sonya et Lyle, à Freccia pour les besoins de mon livre « The Italian Gentleman » (à paraître chez Thames and Hudson en 2016), nous avons aujourd’hui la joie de partager avec vous les dernières nouvelles concernant Bestetti, ses projets en cours et à venir, ses gammes et, last but not least, de faire le point sur ses tarifs et ses délais.
Mais voici d’abord quelques points de repères qui vous permettront de mieux comprendre la personnalité si particulière de Bestetti.
Freccia est issu d’une vraie famille d’artistes. Son grand-oncle, Emilio Bestetti, fut en effet, au début du vingtième siècle, un important éditeur de livres d’art devenu célèbre notamment pour sa reproduction monumentale de la Bible de Borso d’Este en 1937 en collaboration avec Giovanni Treccani.
Parmi les artistes ayant fait l’objet de publications par la maison d’édition familiale, la Casa Editrice d’Arte Bestetti & Tumminelli, l’on trouve des figures majeures de l’histoire de l’art comme Gregorio Sciltian, Renato Guttuso, Mario Sironi, Massimo Campigli, Carlo Carra et Gabriele D’Annunzio.
Son neveu Carlo, le père de Freccia, prendra la suite de la maison d’édition de son oncle qui deviendra la Carlo Bestetti Edizioni d’Arte et publiera notamment de nombreux ouvrages sur et avec Giorgio De Chirico, le fondateur et chef de file du mouvement dit de la « peinture métaphysique » et l’une des idoles des surréalistes en France jusqu’en 1925 (ces derniers le rejetèrent en effet radicalement ensuite, mais ceci est une autre, et longue, histoire). Le frère de Freccia, Luca, est par ailleurs lui aussi un artiste peintre aujourd’hui respecté en Italie.
Contrairement à la grande majorité de ses « confrères » en Italie (si toutefois ce concept existe de l’autre côté des Alpes), Freccia n’a pas été formé à l’art bottier en Italie, mais bien aux Etats-Unis, au Texas pour être précis, par un homme qu’il a rencontré lors d’un voyage sur place avec son frère Luca.
C’est donc avec des bottes Texanes (des « Santiags ») que Freccia allait faire ses premiers pas dans l’art bottier. Sa passion pour ce type de bottes ne se démentira d’ailleurs jamais car il fabrique toujours, à la main, pour certains clients américains des bottes Western sur mesure comme vous pouvez le constater ci-dessous. Le monde à l’envers !
Où en est donc l’homme dont les souliers sont toujours aussi fabuleux (voir les images ci-dessus), mais dont l’offre, les tarifs et, surtout, les délais semblaient rester pour le moins aléatoires aux dernières nouvelles ? Et surtout où en est le fameux (et très prometteur) prêt-à-porter maison que nous annonçons depuis quelques années et qui reste, à ce jour, quasiment introuvable ?
Après avoir passé une demi-journée particulièrement sympathique et décontractée avec Freccia, nous sommes désormais en mesure de répondre précisément à toutes ces questions et à définitivement clarifier la situation de ce bottier auquel nous croyons plus que jamais chez PG.
En fait, le « problème » de Bestetti est simple à comprendre : contrairement à ce qu’auraient décidé de faire bon nombre de bottiers jouissant de sa réputation et sa cote d’amour parmi les amateurs de souliers à forte personnalité, Freccia Bestetti a décidé que TOUS ses souliers, du prêt-à-porter cousu Blake au bespoke traditionnel devaient être fabriqués dans son atelier de Vigevano et uniquement dans son atelier. Pas question donc pour lui de confier ses designs ou ses prototypes à des usines espagnoles ou italiennes (même de bonne qualité).
Cette décision, pour ne pas dire cette obsession en ce qui le concerne, impliquait donc d’équiper son atelier des machines idoines, d’organiser les lignes de production, de trouver le personnel qualifié, le tout en continuant de travailler à la main quasiment seul (avec l’aide de deux ouvriers à temps partiel quand la surcharge de travail se fait trop forte) sur les commandes qui affluent du monde entier (pour la petite histoire, Freccia ne vend pas une paire en Italie. Nul n’est prophète en son pays…)
Un vrai travail de titan, et un investissement potentiellement lourd surtout lorsque l’on connait le coût de la main d’oeuvre de l’autre côté des Alpes.
Pourtant Bestetti est aujourd’hui en passe de réussir son pari car son atelier, même s’il reste pour le moins « rustique », est enfin équipé de toutes les machines nécessaires pour produire ses différentes gammes et deux employés à temps complet vont désormais travailler à ses côtés pour faire passer sa capacité de production au niveau supérieur (aux alentours de 5 paires par jour, toutes gammes confondues).
Son but est d’être en capacité, d’ici quelques temps – à moins qu’un partenaire sérieux ne se manifeste lui permettant de financer plus rapidement son développement – d’avoir à ses côtés cinq employés à temps complet afin de produire, selon ses dires, entre 12 et 15 paires par jour.
En termes de produits, la maison Riccardo Freccia Bestetti propose désormais cinq qualités de souliers, toutes plus impressionnantes les unes que les autres :
– un prêt-à-porter cousu Blake (baptisé Super Flex) d’une belle qualité proposé à 600 euros. Voir ci-dessous quelques exemples, dont une gamme sur formes « anglaises » particulièrement réussie.
– un magnifique prêt-à-porter cousu trépointe (trépointe cousue main donc) proposé à 900 euros, Voici quelques exemples ci-dessous.
– un MTO lui aussi cousu trépointe tarifé à 1200 euros. Voir un exemple ci-dessous.
– la fabuleuse ligne « Novecento », entièrement montée main (sur formes modifiables à vos mesures, une sorte de « presque » bespoke avec toiles d’essayage) proposée à 1650 euros, constituant, à mon avis, l’offre phare de Bestetti.
– et le pur Bespoke traditionnel proposé à 3000 euros dont Freccia ne réalise, selon son propre aveu, pas plus de vingt paires par an…
Riccardo Freccia Bestetti est donc un bottier sacrément doué, sacrément têtu, mais aussi, et c’est réjouissant, sacrément honnête.
Car quand je me suis ouvert à lui du fait que sa réputation était excellente, SAUF en ce qui concernait ses délais pour le moins longs et aléatoires, il n’a pas cherché à se justifier un seul instant et m’a confirmé que cela était son problème numéro un… en ajoutant que les quelques plaintes qu’il recevait ici et là à ce sujet s’évanouissaient souvent lorsque les souliers étaient livrés, car les clients étaient, à quelques rares exceptions près (normales pour un tel travail), très heureux de porter ses souliers.
Pour votre information, pour une paire de Novecento entièrement réalisée à la main, comptez entre 6 et 9 mois d’attente actuellement. Mais, croyez-moi, le jeu en vaut vraiment la chandelle.
La (très) bonne nouvelle pour nos lecteurs français c’est que les produits Freccia Bestetti, et notamment ceux de la gamme prêt-à-porter cousue trépointe (handwelted), sont désormais disponibles en France chez Made To Order à Paris et ce, normalement, avec des délais beaucoup plus raisonnables.
En bref, Riccardo Freccia Bestetti reste selon nous l’un des bottiers les plus intéressants et les plus audacieux au monde et posséder une paire de Bestetti devrait faire partie de la wishlist de tout amoureux de beaux souliers.
Et à une époque où des dizaines de millions d’euros et de dollars sont investis chaque semaine dans des entreprises ou des ateliers aux histoires plus ou moins pré-fabriquées et aux styles plus ou moins intéressants, voilà un artisan (et un nom) qui devrait attirer l’attention des investisseurs. En tout cas moi, je miserais volontiers un kopeck ou deux sur Riccardo Freccia Bestetti.
Car il le mérite vraiment.
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Riccardo Freccia Bestetti, Calzature Artigianali
Laboratorio Via Manara Negrone, 32R, 27029 VIGEVANO (PV)
Tel : +39 (0)381 82531
email : frecciabestetti@frecciabestetti.com
Made to Order Paris
7, rue de Hanovre 75002 PARIS
Tel : +33 1 42 65 86 24 ou +33 6 65 02 00 33
email : contact@madetoorderparis.com