Chers lecteurs,
PG s'apprête à fêter son quinzième hiver. Vous vous doutez que cette date anniversaire nous importe beaucoup ; et nous savons ce qu'elle signifie aussi pour vous.
En 15 ans, nous avons publié un peu moins de 1500 articles (le ratio est facile à calculer !). Beaucoup proviennent de notre noyau dur de contributeurs : historiquement Hugo et Sonya, et depuis deux ans, Agathe VB et moi-même. Mais depuis 2009, notre "communauté sartoriale" a fortement évolué. Je crois l'occasion opportune pour rappeler la mission que nous nous donnons. Je pense aussi utile de préciser notre posture, ainsi que les valeurs que nous défendons.
Parisian Gentleman est un blog dont l'activité est la rédaction d'articles dédiés à l'élégance masculine.
"L'élégance masculine" n'est ni une discipline, ni un loisir, ni même un courant du développement personnel. Ou plutôt elle ne devrait pas l'être, même si, sur les réseaux sociaux, elle est souvent associée à l'une de ces trois choses au moins. L'étiquette "élégance masculine", pour essayer d'en donner une définition juste, renvoie à un champ d'intérêt partagé par une communauté de plus en plus importante, qui repose sur la consommation de beaux objets (vestes, costumes, cravates, chaussures) et l'approfondissement d'un certain art de vivre.
Ce mouvement culturel s'origine dans une redécouverte du style vestimentaire classique, observée à la fin des années 2000 et décuplée par internet - pour le meilleur et pour le pire. Car dans notre communauté de passionnés, "l'élégance" passe, vous le voyez, du statut de qualité morale vivante à celui d'objet d'étude figé - un glissement parfois embarrassant.
Le mot le plus utile pour décrire ce phénomène dans son ensemble, et comprendre de quoi nous parlons, est le mot "sartorialisme", popularisé en France notamment par le fondateur de ce blog (bonjour Hugo). Le terme reprend la racine latine "sartor", et désigne tout ce qui a trait à la confection artisanale d'un costume (même s'il a tendance à se généraliser abusivement).
Une précision qui, elle, n'est pas abusive : nous avons depuis plusieurs années maintenant embrassé la conviction que le vestiaire sartorial déborde sur la garde-robe féminine. C'est pourquoi notre blog d'élégance masculine vous parle aussi de tailleurs qui coupent pour la femme, et de grandes icônes féminines de la mode.
Bref, pour le dire en quelques mots, nous aimons mettre des costumes, des cravates, nous nous recommandons des adresses de tailleurs et des types de chaussures, et parfois, cela gagne d'autres sujets.
Notre équipe de rédaction s'intéresse au vestiaire classique avant tout par plaisir. A titre personnel, je suis fasciné par l'évolution de la silhouette masculine depuis les années 1815. Je trouve tout simplement que les vestes de costume, les cravates et les belles chemises embellissent mon quotidien. Comme beaucoup de professionnels du milieu dit "sartorial", je m'émerveille du beau geste, fruit d'une réalisation artisanale, qui se loge parfois dans le plus infime détail.
Allons droit au but : je ne glorifie donc pas le costume en tant que marqueur d'une supériorité sociale. Je n'ignore pas que cet usage existe ; mais cela ne m'empêche pas de défendre une autre vision de l'élégance. En réalité, tout le plaisir que je trouve dans le vêtement est même de ne le porter ni par conformisme ni par snobisme - et j'essaie de défendre avec le plus d'intégrité possible cette idée. En effet, le goût pour le "classique" n'entraîne pas nécessairement la valorisation d'un "classicisme"; et parler d'"intemporalité du style" en moquant la mode "éphémère" trahit à mon sens un défaut d'appréciation quant à l'évolution de nos usages culturels. C'est malheureusement une lapalissade du sartorialisme.
Non, le costume moderne n'est pas un invariant de la civilisation : c'est une contingence qui a pris, il n'y a même pas un siècle, une forme qui s'approche de sa forme actuelle - mais qui ne saurait se fixer, et qui évolue sans cesse. Sur PG, nous considérons donc que le costume ne doit pas être pris comme un repère intangible. Il doit au contraire être replacé dans une chronologie réaliste, et interrogé dans ses mutations. Analyser avec sérieux le costume, c'est embrasser tout à la fois la spécificité du style dapper, et la réinterprétation de la ligne masculine par des couturiers comme Balenciaga ou Saint-Laurent. C'est questionner la nature d'un cintrage 1920, et le volume des coupes des années 1980. C'est voir ce qui fait la différence entre une tenue de soirée des années 1930, et un smoking actuel.
Si nous nous intéressons au costume et continuons à écrire sur lui, ce n'est donc ni pour contempler avec nostalgie le passé, ni pour tenter d'infléchir l'avenir, dans un geste rageur.
D'abord parce que le réflexe qui consiste à se plaindre de la laideur du temps - rengaine vieille comme le monde - est en réalité assez stérile. Je confesse que décrier son siècle peut être un jeu amusant quand la chose est prise au second dégré, et avec distance. C'est tout au plus une posture, un éthos satirique dont on se débarrasse une fois le billet de râlerie signé, ou l'édito fini. Mais quand il s'agit d'une colère grave et sérieuse, le propos devient rapidement affligeant. Car pardonnez-moi, mais j'insiste : le costume appartient à l'inéluctable cycle des modes.
C'est précisément une fois ce postulat reconnu que la mission d'un blog comme PG prend tout son sens.
Si je refuse l'idée d'intemporalité à cause de sa stérilité intellectuelle, j'affirme en revanche que l'histoire du goût est travaillée par des courants souterrains et des tendances qui se diffractent différemment selon les époques. L'histoire des vêtements, en suivant le mouvement d'un balancier, offre donc des résurgences : d'où le sartorialisme, ce mouvement par lequel j'ai désigné le regain d'intérêt pour le costume, apparu à partir de la fin des années 2000, et qui a été dynamisé par internet et la circulation accélérée d'images d'archive, de dessins de magazine etc.
Ainsi, depuis son origine en 2009, PG a eu l'immense et passionnante tâche de guider ceux qui voulaient se réapproprier certains codes et usages attachés au port du costume. En effet, même s'il connaît des évolutions, ce type de vêtement demande encore un certain nombre de connaissances pour être porté heureusement - et je ne vous parle même pas encore d'art de vivre, sujet bien plus anecdotique et facultatif, mais intéressant car il est parfois appelé par le vêtement. Nous pourrons y revenir.
Toujours est-il qu'il y a porter et porter le costume.
Il y a des règles : certes des règles d'usage (si vous êtes de nature créative, libre à vous de réinventer les codes vestimentaires, avec tous les risques que cela comporte) ; mais surtout des règles de bon sens (proportion, accord des couleurs, choix des tissus). Autant de choses qu'il est capital de comprendre avant de chercher la transgression. Précisément, nous nous efforçons en permanence de nourrir la culture que notre lectorat a du vestiaire classique.
De cette mission que je décris, découle aussi la nécessité d'éclairer par moments le marché sartorial : vous donner un meilleur aperçu de l'offre, des propositions que font les marques et les maisons, et de comprendre leurs spécificités.
S'intéresser au costume classique demande de la nuance. Je veux ici m'adresser d'abord aux jeunes gens qui se lancent dans la constitution d'une garde-robe classique.
Les vêtements "classiques" en imposent visuellement, mais ne font pas automatiquement de nous des personnes meilleures : ils confèrent une belle enveloppe à une individualité qui, elle, devra se perfectionner tout au long de la vie. J'ajoute que le costume ne doit pas devenir un déguisement. Il est impératif de ne pas tomber dans la caricature, mais plutôt de s'efforcer d'adapter sa soif de style à l'époque. Il y a mille manières d'actualiser le costume.
Je m'adresse à présent aux allergiques du style classique, à toutes les personnes qui ne comprendraient pas notre engouement, qui jetteraient un regard sévère ou dédaigneux sur notre goût du costume, et surtout, voudraient imposer une grille de lecture classiste à notre travail. La nuance, nous la réclamons aussi chez vous. Aimer porter le costume ne rime pas systématiquement avec individualisme, et vous n'imaginez pas le nombre de personnes qui apprécient la silhouette d'un jeune homme ou d'une jeune femme épousant le style sartorial. Je vous assure que l'intuition que l'on fait plaisir à son entourage, à des commerçants ou des passants que nous croisons, peut être une motivation saine dans notre quotidien.
A cet égard, je commence à penser qu'il y a eu une évolution en quinze ans : les soupçons et les moqueries étaient bien plus répandues hier, alors que les témoins de notre démarche aujourd'hui ont tendance à trouver cette préférence vestimentaire plaisante et louable - sans mettre derrière autre chose qu'une satisfaction visuelle. Je vais le dire plus directement : les jeunes gens prenant plaisir à bien s'habiller reçoivent de plus en plus de compliments. Je m'en réjouis sincèrement.
De plus, vous devez bien comprendre que nous ne condamnons pas ceux qui n'épouseraient pas notre vision du style. L'équipe de PG croit au contraire à la complémentarité des langages vestimentaires, et au dialogue de ceux-ci. Si nous avons des prises de position vigoureuses à certains égards, ce ne sera pas au sujet de la mutation du goût vestimentaire. Ce sera contre la fast-fashion, et son coût socio-environnemental ; contre ceux qui en ont les moyens mais qui ne pensent pas à soutenir l'économie artisanale ; ce sera contre les masculinistes qui se réclament d'une relecture de l'histoire de la virilité occidentale pour affirmer leur supériorité stylistique.
Je me répète : si nos réflexions vestimentaires entraînent des convictions qui vous étonnent (par exemple ce qu'il convient de porter ou non dans l'espace public, ce qu'il est respectueux ou regrettable d'arborber à un mariage ou un enterrement), nous serons ravis d'en débattre avec vous. Certains choix stylistiques que nous faisons étonnent encore une frange de la population, et les bretelles, gilets croisés et autres mouchoirs de poche ont toujours besoin d'être défendus.
Je suis ouvert à la discussion !
A très vite.
Léon pour l'équipe de Parisian Gentleman
Photo de couverture : Agathe VB (à l'image : confections signées Marc Lauwers)