Le terme « Odd Jacket » (faiblement traduit en Français par veste dépareillée) n’a pas seulement été créé pour désigner une veste sport portée avec un pantalon non assorti. Les premières vestes du genre étaient en effet caractérisées par la présence de détails originaux, principalement dans la manière dont le dos de la veste était conçu, qui les différenciaient des vestes sport classiques.
En 1926, la veste sport typique telle qu’on la voyait portée à Palm Beach, était la veste unie en gabardine marron. Les Frères Brooks, fidèles à eux-mêmes, innovèrent encore en créant leur désormais classique veste en gabardine à dos « plissé » proposant 4 plis au dessus et en dessous d’une martingale. L’ère des « Fancy-back Jackets » (littéralement vestes à dos fantaisie) était née.
Sur l’image ci-dessus, vous pouvez voir le jeune Henry Fonda, assis nonchalamment et confortablement à même le sol d’une scène de théâtre, grâce à l’intelligent design « bi-swing » du dos de sa veste : des plis en soufflets parfaitement fonctionnels s’étendent de la taille jusqu’aux empiècements des épaules, permettant une totale liberté de mouvement au niveau du haut du corps. Remarquez également comment les coutures extérieures de la veste se marient parfaitement avec celles, particulièrement proéminentes, de son pantalon en flanelle.
La « Fancy-back Jacket » la plus populaire de l’époque fut la veste sport à dos froncé (« shirred-back jacket »), qui proposait une seule pièce de tissu froncée allant de la couture des épaules à la martingale.
Et c’est lorsque Clark Gable creva l’écran en le portant dans de nombreux films à Hollywood, que ce modèle fut propulsé sur le devant de la scène sartoriale de l’époque.
Bien que ce traitement fut d’abord exclusivement réservé aux vestes en gabardine, sa popularité grandissante vit d’autres tissus subir le même traitement : laine des Shetlands, lin, et tweed.
Dans le même ordre d’idée, il n’était pas rare, à l’époque, d’affubler les poches des vestes dépareillées de détails voyants et excentriques, histoire d’injecter une bonne dose d’audace dans la rusticité inhérente à la veste sport traditionnelle.
Un autre exemple de jeu autour de la poche poitrine nous est fourni par Maître Gable, avec sa poche plaquée à soufflet cousue de façon asymétrique. Sur le fond autant que sur la forme, ce twist semble avoir résolu l’épineux problème consistant à porter élégamment une pochette épaisse ainsi qu’une pipe dans sa poche poitrine…
Il est un dicton Anglais qui dit que ce sont en fait les chevaux qui ont inventé les vêtements sports masculins.
Et l’un des résultats directs de la passion des Britanniques pour toute chose équestre fut en effet la création de… la veste de costume telle que nous la connaissons aujourd’hui, coupée sur le devant et ouvrable, afin de permettre une plus grande liberté de mouvement à cheval. Ce même design fut ensuite universellement adopté pour les costumes de ville.
Un autre exemple de l’influence considérable du monde équestre sur le vestiaire masculin est celui, vers le milieu des années trente, de la « Hacking Jacket ». Cette veste, LA veste d’équitation traditionnelle en tweed par excellence, quitta subitement les champs pour la ville, et devint rapidement, avec sa longueur inhabituelle, ses poches à rabats obliques et ses fentes latérales généreuses, un standard de l’époque en ville.
La culture équestre britannique ne fut cependant pas la seule influence majeure de la mode masculine de l’époque. Les années trente virent également la popularisation des vestes militaires influencées par l’esthétique coloniale du Commonwealth en Asie et en Afrique.
La première de ces vestes fut la veste Safari inspirée de l’uniforme d’été de l’armée Britannique durant la première guerre mondiale : une veste mi-longue, avec empiècement à l’avant et à l’arrière des épaules, quatre poches à soufflet, des manches longues avec manchettes et une ceinture. Cette veste fut depuis l’objet de nombreuses ré-interprétations et son design fut réajusté à de nombreuses reprises pour s’adapter à l’air du temps, au gré de ses multiples « revivals ».
Si la seconde guerre mondiale gela pendant un temps l’évolution naturelle de la mode masculine, les vestes dépareillées revinrent avec fracas à la fin de la guerre, doublées d’un esprit de célébration certain : le jeune homme dans le vent, de retour à la vie civile et résolument décidé à faire honneur à la passion nationale d’après-guerre pour les activités en plein air, n’a en effet plus peur de s’afficher avec des vestes sports aux motifs de plus en plus audacieux afin de bien montrer à autrui qu’il ne s’agit pas d’une veste de ville.
Il achève ainsi définitivement de creuser le fossé entre la veste de costume et la veste dépareillée.
Vers la fin des années quarante, l’exubérante veste à rayures en shetland s’impose comme l’héritière naturel du plaid, particulièrement sur les campus des grandes universités de la Ivy League. A la même époque, le plaid à motif madras authentique gagne en popularité dans les country clubs et dans les lexiques stylistiques des universités.
Comme en témoigne le « Bold look » d’Esquire de 1948, l’homme américain semble alors résolument déterminé à porter des vêtements qui communiquent son optimisme nouveau…
Cependant, et assez étrangement, personne n’aurait pu à cette époque prévoir la vague de conservatisme qui allait déferler sur les sociétés occidentales dès les années 50, et durant laquelle le costume en flanelle grise devint, plus qu’une norme, pratiquement un état d’esprit.
A partir des années 70, les vestes sports traditionnelles perdirent en popularité, au profit de vestes de « designers », qui brisèrent jusqu’à l’excès les codes de la veste sport… qui fut la veste de toutes les expérimentations, bien plus que la veste de costume.
De nos jours, le regain d’intérêt dont font l’objet les tenues de ville dites « alternatives », a revigoré la créativité autour de la veste dépareillée qui reprend petit à petit sa place – méritée – dans les garde-robes des hommes.