Il y a quelques temps, la course à l’armement des fabricants de tissus Supers est devenue folle et les filatures se sont presque toutes lancées à corps perdu dans des projets afin de faire mieux que le voisin et d’atteindre des sommets vertigineux… de bêtise, comme des tissus contenant de vraies pépites d’or ou même des éclats de diamants !
Quand cela s’est produit, les clients traditionnels, tout comme un certain nombre de tailleurs très respectés, ont commencé à dénoncer ces excès (de marketing) et ont massivement appelé à la raison et même, pour certains, au retour aux bons vieux tissus robustes de papa, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un retour en force au Pitti Uomo. J’ai déjà écris un article sur le sujet dans ces colonnes ICI.
Mais maintenant que j’ai possédé et porté des dizaines et des dizaines de costumes allant de Super 80s à Super 180s, je pense qu’il est grand temps que je partage avec vous ma grande expérience du sujet et que j’apporte quelque chose de nouveau dans ce « Super » débat.
Je dois cependant tout de suite avouer que moi aussi, au début, j’ai souvent regardé les nombres au dessus de Super 120s d’un oeil désapprobateur en les considérant, à cause de leur fragilité, comme les kleenex du tissu. Mais avec le temps, mon jugement a évolué et j’ai réussi à dépasser les clichés et à faire moi-même la découverte de quelques vérités cachées sur le sujet.
Ma première révélation, je la dois à Marc de Luca (de Camps de Luca) qui m’a fait connaître un incroyable tissu Super 180s de la maison Schofield qui posséde la qualité inattendue de conserver intacts les plis des pantalons pendant des mois. Marc utilise lui-même ce tissu Super 180s rare pour son consume de voyage qui, malgré les nombreux pliages et dépliages, retrouve toujours quasiment sa forme d’origine lorsqu’il sort de la valise ! Une propriété très inhabituelle pour un Super 180s.
Cette propriété a sans doute quelque chose à voir avec le procédé de tissage utilisé qui permet à certains tissus Supers de haut niveau de maintenir leur forme malgré l’extrême finesse des fils d’origine.
Mais malgré cette première révélation qui mettait à mal le mythe selon lequel les Supers à nombres élevés (au delà de Super 160s) étaient tous fragiles, il restait quand même une question cruciale : la question de leur brillance un peu trop « voyante » à mon goût.
En effet, la plupart du temps, les tissus Supers 180s et au delà ont, pour la plupart, tendance à prendre la lumière d’une façon un peu vulgaire, un peu « nouveau riche », un peu trop brillante. Et pour moi, ce n’étaient pas des tissus pour les gentlemen, mais plutôt pour les vendeurs d’armes ou les dictateurs.
Cependant, c’est ici que « l’affaire des nombres Super » devient intéressante, car il aura fallu des années, à un passionné de tailoring comme moi, pour découvrir quelque chose qui change complètement la donne dans le domaine. Mais pour découvrir par vous-même ce que je vais vous expliquer, il vous faudra prendre le chemin difficile et plein d’abnégation consistant, à l’instar des aficionados du denim, à embrasser une nouvelle religion pour toujours : celle consistant à ne JAMAIS laver vos costumes.
Dans notre monde du « tailoring » cela se traduit par : PAS DE NETTOYAGE A SEC. JAMAIS.
Permettez moi d’ailleurs une petite digression à ce sujet :
Il y a de nombreuses années, je fus convaincu par de nombreux tailleurs que le nettoyage à sec était une mauvaise idée. Point final.
Et bien qu’il m’ait fallu quelques temps pour vraiment les croire, j’ai finalement décidé de rejoindre définitivement les rangs de la secte « de ceux qui ne confient jamais leurs costumes à un nettoyeur à sec », une secte qui ressemble beaucoup à celle des propriétaires zélés de jeans qui croient religieusement qu’il faut absolument éviter que leurs jeans adorés ne croisent la route du savon ou de l’eau pour être beaux.
Alors évidemment il est tout à fait possible, notamment chez les grandes maisons de Bespoke, de nettoyer vos costumes à la vapeur et au fer à repasser. C’est même très recommandé. Mais ce que vous devez éviter à tout prix c’est de soumettre vos costumes au supplice du nettoyage à sec utilisant des produits chimiques.
Les professionnels du nettoyage à sec n’ont en effet aucune idée de comment il convient de repasser une veste en Grande Mesure. Et si toutefois vous ignoriez ce point, permettez moi de vous rappeler que 50% de la forme élégante d’un costume provient, précisément, de la façon dont il est repassé et « pressé » par un tailleur expérimenté.
Donc un mauvais repassage par un nettoyeur à sec ignorant aura pour résultat de ruiner la silhouette de votre costume. Il ne restera alors plus qu’à le rapporter chez votre tailleur afin qu’il s’en occupe et que votre costume reprenne sa forme initiale.
Cette précision, importante, étant apportée, revenons à nos moutons :
Comme j’ai suivi les conseil de mes tailleurs de ne jamais nettoyer mes costumes à sec, j’ai découvert quelque chose de fascinant concernant les tissus Super à haut nombre. Un petit secret de connaisseur que j’ai la joie de partager avec vous, lecteurs de PG et passionnés de style masculin.
La brillance un peu « too much » des tissus Supers 160s et au delà disparait avec le temps !
Et le tissu, au contraire, a tendance à se patiner et à devenir de plus en plus beau et authentique. Comme si votre cravate criarde en soie brillante se transformait en une soie madder d’une autre époque au fil des ans.
Ce fut une surprise majeure pour moi, mais j’ai pu constater le phénomène sur mes costumes en tissus Super grâce à l’absence de nettoyage à sec.
J’insiste une nouvelle fois sur ce point : pas de nettoyage à sec, sous peine que votre costume perde sa silhouette et que le tissu retrouve sa « brillance » un peu « nouveau riche ».
Donc, en conclusion, il est important de comprendre que lorsque vous choisirez votre prochain tissu, vous aurez à choisir entre deux choses qui possèdent toutes les deux des avantages:
– Les tissus Super de nombre inférieur (Super 100s à Super 130s) sont de bons choix car ils ne vieilliront jamais et garderont toujours leur aspect initial tout en restant robustes pendant 30 ans.
– Les tissus Super de nombre supérieur (Super 140s et au delà), se comporteront de façon inverse : ils perdront leur lustre initial et vieilliront deux fois plus vite. Mais ils commenceront aussi à acquérir du caractère et une patine.
A titre personnel je suis récemment devenu un grand fan de ce genre de tissus auquel je me suis, après des années de ports (sans nettoyage à sec) et d’observation, finalement converti.
De façon ironique, la plupart des vendeurs en boutique, souvent peu éduqués, tenteront de vous vendre les « Supers Numbers » pour les raisons opposées à celles expliquées ci-dessus. Et j’imagine facilement certains clients achetant ces « Super » tissus justement pour leur brillance et surtout pas pour la façon dont ils vont vieillir…
Un beau costume c’est finalement comme un grand vin, plus ca vieillit, plus ça devient beau et sophistiqué.
Et c’est cela, selon moi, la « Gentleman’s way ».
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Adriano Dirnelli