Alors que depuis quelques temps, nous assistons sur la toile à une véritable avalanche de nouveaux sites (notamment de très nombreux sites commerciaux de grandes marques), proposant des conseils en matière d'élégance masculine et de l'éducation sartoriale (cela s'appelle le "content marketing", le marketing de contenu), certains sujets semblent cependant donner du fil à retordre aux nouveaux ayatollahs du style masculin et résister à l'épidémie de codification ambiante en matière de style vestimentaire.
C'est le cas du mouchoir (pochette) qui, malgré de multiples tentatives de codification des pliages et des coordinations, reste difficilement domptable même pour les plus appliqués d'entre vous.
C'est aussi le cas des chaussettes qui, grâce à une très belle créativité dans le domaine, mettent le bazar dans les règles immuables dictées par les très nombreux nouveaux gourous de l'étiquette.
C'est, enfin, le cas des cravates à rayures, l'un des sujets les plus (mal) commentés qui soit.
Les cravates à rayures, leur histoire (presque) héritée de la science des blasons et leur signification font en effet partie des sujets dont quasiment tout le monde a entendu parler, à propos duquel tout le monde feint d'avoir quelque chose de pertinent à dire mais sur lequel énormément de conceptions erronées et de légendes urbaines circulent.
Il faut dire qu'entre les rayures qui partent du coeur (les barres), celles qui remontent vers lui (les bandes), celles qui symbolisent l'appartenance à un club ou celles qui communiquaient, autrefois, une "brisure" dans une lignée, donc une bâtardise, il y a vraiment de quoi y perdre à la fois son héraldique et son latin...
D'ailleurs la confusion commence, comme toujours, avec les mots et, plus particulièrement, avec l'appellation elle-même dans la langue de Shakespeare : doit-on dire en effet "Regimental Tie" ou "Repp Tie" ?
L'origine de la première appellation, "regimental tie" est la plus simple à comprendre : il s'agissait pour les militaires Britanniques à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, de montrer leur appartenance à une armée (un régiment donc) soit à des fins pratiques (reconnaître son ami de son ennemi) soit à des fins de parade (montrer sa fierté d'appartenance à un régiment).
Cette appellation d'origine strictement militaire, n'est cependant pas satisfaisante pour désigner les mêmes cravates à rayures, mais utilisées dans un cadre civil : un club de sport, une association, une amicale ou, évidemment, une école ou une université.
En effet à la fin du 19ème siècle au Royaume-Uni, il est devenu très courant de signifier son appartenance à une communauté en portant la cravate de son club ou de son école. Cette tradition est d'ailleurs encore largement en vigueur dans les écoles élémentaires et secondaires, et dans les universités outre Manche et outre Atlantique.
Quant à l'appellation "Repp tie", qui désigne une matière (le reps, mot français), si elle semble meilleure et plus globale, elle est également discutable d'un point de vue étymologique.
En effet le "reps" décrit un tissu lourd en soie, en laine ou en coton, dont la particularité est effectivement de présenter des cotes diagonales (donc des rayures), mais dont l'utilisation n'est généralement pas vestimentaire : il s'agit de tissu d'ameublement dont Marcel Proust évoque l'épaisseur - "Parce que j'avais trop chaud l'hiver sous les courtines de reps du grand lit" - dans Du Côté de chez Swan même si une version vestimentaire est évoquée par Honoré de Balzac - "Son guide la posa sur le trottoir, sans avoir chiffonné la garniture de sa robe en reps vert" - dans "La femme de trente ans" en 1832.
Donc à la question de savoir s'il faut dire "Repp" ou "Regimental", la réponse est de privilégier "Repp tie" sauf dans le cadre strict d'une cravate de régiment, même si, en l'espèce, la notion de "cravate club" en français me semble finalement la pus pertinente pour décrire ces cravates portées à l'origine pour témoigner de son appartenance à une communauté, à un groupe ou à une école.
Ah le fameux sens des rayures de la cravate !
Voilà un sujet auquel personne ne comprend jamais rien, puisque lorsqu'on dit "de gauche à droite", et que l'on omet de préciser de quel point de vue l'on se place, (soit du point de vue de celui qui regarde la cravate, soit de celui qui la porte), la confusion s'installe, les erreurs se produisent et les légendes urbaines apparaissent comme celles, nombreuses et imprécises, de la relation supposée du sens des rayures avec le coeur humain (en gros, tout ce qui est à gauche veut dire "le coeur", c'est bien connu...)
Une seule chose est cependant à retenir pour ne plus jamais vous embrouiller sur le sujet : quand vous parlez de gauche ou de droite, vous parlez toujours en réalité de l'épaule de celui qui porte la cravate. Donc une cravate dont les rayures vont de gauche à droite veut dire une cravate dont la rayure part de l'épaule gauche de celui qui la porte et qui descend vers son flanc droit.
Ci dessus une "Repp Tie" européenne avec une rayure de gauche à droite (la rayure part de l'épaule gauche vers le flan droit) - Style Forum
Ci dessus une Repp Tie américaine avec les rayures de droite à gauche (les rayures partent de l'épaule droite vers le flanc gauche) - Style Forum
Les britanniques (et, par extension, les européens), portent donc la cravate de gauche à droite, tandis que les américains la portent de droite à gauche.
Quant aux histoires supposées nous expliquer la raison de cette inversion des rayures par nos amis d'Outre-Atlantique, elles sont nombreuses, variées et invérifiables. L'une des plus intéressantes cependant, explique que cette différence proviendrait du fait que les soldats européens portent le fusil sur l'épaule gauche, alors que leurs homologues américains le portent du l'épaule droite.
Pourtant la réalité est plus prosaïque et sans doute moins héroïque que cela. En 1920, la "mode" des cravates club est en plein boum au Royaume Uni et la célèbre maison Brooks Brothers à New York décide d'importer l'idée pour la lancer aux Etats-Unis. Mais pour y ajouter une "patte américaine", Brooks décide d'inverser les rayures, sans aucune autre justification que celle de tenter de s'approprier une coutume d'origine britannique et de "l'américaniser".
Les cravates club de Brooks Brothers vont être un énorme succès et devenir très vite l'un des symboles forts du style Preppy qui allait régner sans partage sur les campus, notamment des prestigieuses universités de la Ivy League.
Donc pour résumer simplement le sujet :
- Lorsque l'on parle de gauche et de droite, l'on se réfère à l'épaule du porteur.
- Une cravate à rayures de gauche à droite est une cravate club anglaise ou européenne.
- Une cravate à rayures de droite à gauche est une cravate club américaine.
- Le sens de la rayure ne témoigne en rien de votre appartenance réelle à un club ou à une université (comme je l'entend trop souvent)
- Les grosses rayures de gauche à droite sont appelées Barres en Héraldique.
- Les grosses rayures de droite à gauche sont appelées Bandes en Héraldique. - Lorsque les rayures sont plus petites, elles sont appelées "cotises".