Les institutions britanniques ont conservé bon nombre de leurs traditions, dont la plus étrange est sans doute le port de la toge pour l’observateur étranger.
C’est pourtant une tradition assez courante puisqu’elle est pratiquée chaque jour par des milliers d’étudiants d’Oxford ou de Cambridge.
Les formal dinners, qui se tiennent dans de vastes salles de réception, sont courants, parfois quotidiens ou hebdomadaires selon les Colleges. Le port de la toge est requis dans ces dîners, même s’il n’existe aucune autre obligation formelle quant au reste de la tenue, contrairement aux cérémonies universitaires (remise des diplômes, par exemple). Mais il existe aussi beaucoup d’autres occasions où un dress code particulier est exigé.
Ayant été récemment invité à un dîner à Cambridge où la tenue de soirée était exigée (black tie, academic dress optional), j’en ai profité pour essayer le smoking proposé par Suitsupply.
Parisian Gentleman s’est déjà longuement penché sur le port du smoking (les Américains parlent de tuxedo et les Britanniques de dinner suit) et bien que nous n’ayons en général que peu d’occasions de porter le smoking, ces tenues sont aujourd’hui devenues très accessibles en prêt-à-porter.
Evidemment, les différences de qualité d’une marque à l’autre sont considérables et le mauvais goût semble malheureusement être la règle plutôt que l’exception (aperçu hier dans un centre commercial de banlieue, un smoking blanc brillant avec des bords noirs : on était plus proche du numéro de clown que de la sobriété d’une tenue de soirée).
S’il m’est impossible, par principe, de publier ici des photographies de cette soirée privée, j’ai pu constater de très grandes variations dans les smokings portés par les uns et les autres. Certains smokings étaient neufs alors que d’autres avaient déjà un peu vécus. Certains invités portaient, à ma grande déception, des nœuds papillons déjà noués. Certains autres dérogeaient aux « règles » établies en portant un nœud papillon aux couleurs du College (ou des boutons de manchette avec le blason), ce qui, en revanche, semblait acceptable dans le contexte. Il y avait beaucoup de cols châle et aucun smoking bicolore ringard comme on en trouve dans la plupart des boutiques bas de gamme en France.
L’achat en ligne d’un vêtement est toujours problématique (on ne peut qu’attendre avec impatience l’ouverture de la boutique Suitsupply en France, qui semblerait se dessiner pour le premier trimestre 2016) mais, fidèles à leur excellente réputation en la matière, les responsables des envois de Suitsupply sont toujours aussi attentifs au moindre problème, ce qui permet de contre-balancer le manque de fiabilité des livreurs en France peu concernés, quant à eux, par la notion de délai.
Question taille, il semble que l’on puisse vraiment se fier à une certaine continuité chez Suitsupply, puisque j’ai opté pour exactement la même taille qu’un précédent costume commandé chez eux. Par pure chance, les manches n’ont même pas eu besoin d’être raccourcies (ce qui avait été le cas lors du costume précédent) et seul le pantalon a nécessité une retouche de longueur.
Le modèle de smoking proposé de Suitsupply a pris le parti de respecter les règles cardinales du genre. Le classicisme assumé de l’ensemble comportait les éléments attendus (ou plutôt obligatoires !) : revers à pointe en soie, veste à un bouton (recouvert de soie), poches sans rabats passepoilées gansées de soie, bande de soie le long du pantalon (sans passants, avec des boutons pour les bretelles). Les manches comportaient quatre boutons fonctionnels recouverts eux aussi de soie.
La chemise Suitsupply respectait également les canons de la tenue de soirée : plastron en piqué sans gorge, poignets mousquetaire, boutons émaillés noirs. La soie du nœud papillon aurait pu être légèrement moins brillante, mais, franchement, c’est juste histoire de pinailler.
La veste n’est absolument pas lourde ou empesée mais elle est suffisamment structurée pour donner l’impression d’une musculature digne de James Bond, même si votre type physique n’est pas celui de Daniel Craig. C’est le genre de coupe qui donne réellement bonne allure et permet de se fondre dans le formalisme de ce genre d’événement. Quant au tissu, il s’agit d’un excellent Super 110s de Vitale Barberis Canonico.
Même les chaussures proposées par Suitsupply étaient étonnamment convenables car la marque ne jouit d’aucune renommée particulière dans le domaine.
Il s’agit d’un Richelieu en cuir verni (cousu Blake) avec semelle noire et lacets en gros-grain (coupable fantaisie qui pourra choquer les puristes : j’ai opté pour des mi-bas Falke noirs striés de bleu en lieu et place des traditionnels mi-bas noirs). Le confort de ces souliers a été immédiat et ils convenaient fort bien à l’ensemble. Impossible de savoir comment elles vieilliront pour l’instant, évidemment.
La raison d’être du smoking — héritage du queue de pie du XIXe siècle dans une version plus décontractée — est de ne pas attirer l’attention sur sa tenue.
De fait, une réunion d’hommes habillés de manière similaire possède quelque chose d’étrangement apaisant car rien ne vient troubler l’attention visuelle : c’est l’événement lui-même qui compte et chacun est ainsi mis au même niveau afin de mieux participer à la soirée. Galante répercussion de la chose, ce sont les tenues des femmes qui ressortent avec grâce lors de telles soirées. Evidemment, pour la réussite de l’ensemble, le caractère formel de la tenue nécessite que les détails soient respectés. Il me semble que Suitsupply y parvient avec un bon équilibre entre formalisme et élégance.
Cambridge compte désormais plusieurs maisons proposant du sur-mesure, voire du bespoke (Ede and Ravenscroft sur King’s Parade, Tailor & Cutter dans All Saint’s Passage), ainsi que des maisons historiques (Ryder and Amies, dont les cravates en soie se sont améliorées, tant pour le style que la qualité : elles ont gagné en largeur et en poids avec les années, ce qui leur va bien).
Sur le campus de Cambridge et d’Oxford, on passe allègrement de la sophistication du smoking de soirée au look casual qui est la norme ambiante le jour (pantalon en velours, pull fatigué, cravate du College et veste Barbour — peut-on parler d’une forme de sprezzatura british?).
Ce qui est particulièrement plaisant, c’est que ces extrêmes ont leur place à Cambridge, ainsi que tous les moyens termes car c’est un endroit qui comprend la tradition autant qu’il apprécie l’originalité.