On connaît le proverbe classique : « Pour savoir si un homme est bien habillé, baissez le regard ».
On entend en général par là que les souliers révèlent le soin réel qu’apporte un homme à sa mise. Les souliers ne constituent pourtant qu’un seul élément d’une équation assez complexe.
Le dernier ouvrage de G. Bruce Boyer, True Style, contient un chapitre fort intéressant intitulé « The shoe-hosiery-trouser nexus » (« La liaison souliers-chaussettes-pantalon »).
Il y aborde la plupart des aspects essentiels de la question mais laisse toutefois en suspens certaines dimensions (c’est d’ailleurs l’une des forces de cet ouvrage : il stimule le lecteur plutôt que de lui asséner des vérités définitives). Il s’agit d’un axe essentiel de la tenue même s’il arrive en général, dans l’ordre de l’impact visuel, très loin après le point nodal que constitue l’ensemble veston-chemise-cravate.
La plupart des articles sur le sujet des chaussettes proposent des règles, au mieux des conseils, qui partent de l’idée que les chaussettes doivent absolument être coordonnées au pantalon ou aux souliers.
C’est une vraie erreur car il n’existe plus guère de règles auxquelles obéir aujourd’hui, sauf, peut-être, si vous vous trouvez dans un contexte particulièrement formel exigeant une grande sobriété sartoriale. La mort sociale n’est donc plus vraiment une menace et, dans tous les cas, ne dépendra jamais d’une chaussette !
Cela ne veut cependant pas dire que l’absence de règle à respecter ouvre la porte à l’anarchie complète. En lieu et place des exigences sociales, ce sont plutôt des considérations esthétiques et de style personnel qui vont primer. De ce point de vue-là, le choix des chaussettes relève de la stratégie stylistique.
Contraste ou continuité sont les deux voix permettant une forme d’harmonie.
La première option, d’une totale sécurité — qui n’implique cependant pas forcément austérité ou froideur — est effectivement de coordonner les chaussettes avec les souliers ou le pantalon. Impossible, en effet, de se tromper avec un pantalon bleu marine et des chaussettes de la même eau.
Il en va de même si l’on apparie du gris et du gris ou du marron et du marron. Et dans le contexte général d’une tenue, cela pourra même avoir une certaine allure. Sauf que l’on se fatiguerait vite d’un tel choix par défaut s’il fallait se contenter de cette non-combinaison tous les jours.
Cela reste toutefois une option particulièrement intéressante si les souliers sont particulièrement voyants (voir ci-dessous).
Il s’agit là d’une variante de la démarche précédente consistant à choisir le ton sur ton : trois nuances différentes de la même couleur : trois bleus ou trois gris dissemblables pour le pantalon, les chaussettes et les souliers. Facile, efficace mais vite ennuyeux.
Autre possibilité : harmoniser les chaussettes grâce à une couleur compatible avec le pantalon et les souliers tout en étant d’une couleur différente des deux autres.
Par exemple un pantalon gris avec des chaussettes violettes et des souliers marrons s’harmoniseront en douceur, sans choc stylistique. Mais attention : comme l’on quitte ici la zone de confort de la continuité, il faudra éviter à tout prix les contrastes excessifs qui jureront ou apporteront trop de variété. Il est, en outre, difficile de prévoir les compatibilités sans essayer et juger de visu car tout dépend des nuances et de la profondeur des couleurs et des tissus.
Tout est dans la subtilité et la retenue !
Radicalement opposée aux différentes formes d’harmonisation, la chaussette unie à couleur vive apporte un contraste total avec les autres éléments et fait voler en éclat toute idée de combinaison : elle s’impose par sa seule évidence aveuglante.
En séparant violemment le pantalon des souliers, la chaussette unie devient un point de fixation visuel majeur et peut même venir défier les combinaisons veste-chemise-cravate.
Bien sûr, tout le monde pense à la chaussette rouge, mais cette dernière n’est pas la seule à réussir ce tour de force. C’est vrai de toutes les couleurs proposant un contraste prononcé. Un pantalon bleu marine avec des chaussettes bleu électrique parviendra au même type de choc visuel.
Cela est également vrai pour certains verts, le jaune, le rose, l’orange, le bleu etc.
Un proverbe yiddish dit que lorsque l’on hésite entre deux solutions, il faut toujours choisir la troisième. Alors, contraste ou continuité ?
Mon choix personnel, inspiré par les principes de la pochette, est d’utiliser une continuité mais avec des éléments de contraste, notamment des motifs qui permettent de briser l’uniformité chromatique.
Rayures, pied de poule, chevrons permettent d’utiliser une couleur identique au pantalon ou au soulier et d’en ajouter une autre pour apporter un peu d’originalité et de punch. C’est une manière de se situer des deux côtés de la barrière à la fois, simultanément dans l’harmonie et dans le décalage.
L’inventivité des chaussettes Bresciani, entre autres marques, n’est pas étrangère à ces possibilités. Leur gamme de chaussettes « vanisées » est à cet égard remarquable, notamment les marron et bleues qui permettent d’être raccord à la fois avec un pantalon bleu et des souliers marron avec originalité mais sans ostentation.
Ainsi, continuité, harmonisation, contraste et mélange constituent une palette d’une variété infinie. Dans ce contexte, est-il donc encore possible de parler question de « règles » ?
Non. Il s’agit plutôt d’intuition, de goût et, Dieu merci, de plaisir.
Bien sûr, comme tous les autres aspects d’une tenue, l’équilibre de l’axe pantalon-chaussettes-souliers repose sur de nombreux facteurs. En effet, il ne faut pas non plus oublier les considérations de texture : tweed, flanelle, lin, coton, laine, cuir, veau-velours peuvent favoriser des associations inattendues.
De plus, la zone de la cheville n’est pas isolée du reste de la tenue et l’on peut aussi choisir ses chaussettes pour faire écho à la cravate, à la chemise ou au veston.
En outre, les pantalons et les souliers ne sont pas forcément unis. Les tissus Prince de Galles ou à carreaux fenêtres, les souliers bi-colore ou les patines flamboyantes rendent alors la question encore plus complexe. Dans ce cas-là, la solution se situe sans doute du côté de la sobriété afin de ne pas alourdir la combinaison.
L’on peut aussi, bien sûr, décider de faire de la cheville un point central de la tenue, ou préférer la retenue parce que l’on porte un manteau très voyant, ou tenir à coordonner ses chaussettes avec sa cravate…
Comme vous le constatez, tenter de théoriser le sujet est finalement une mission quasi impossible tant les possibilités sont illimitées.
Un seul conseil cependant : faites des essais, beaucoup d’essais, même si, de prime abord, la chaussette choisie semble avoir peu de chance de bien se coordonner avec le reste de votre tenue. Comme dans le cas de la pochette, vous risquer d’avoir de nombreuses surprises !
La chaussette est l’un des éléments de l’arsenal de l’élégance masculine permettant, à l’instar de la pochette, de se faire plaisir sans se ruiner.
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– Pour une source d’inspiration quasi infinie sur le sujet, voir le fameux fil de discussion Rock your Socks sur le Style Forum (1520 pages depuis 2008 jusqu’à aujourd’hui).
– Pour un choix très large de chaussettes (et de marques) de qualité voir le site de nos camarades de Mes Chaussettes Rouges.
– John Slamson Tumblr.