C’est toujours avec joie et fierté que je me rends au Gala des Sommeliers.
Je termine une longue journée à ma boutique de Chantilly pour me rendre ce dimanche 24 Avril à l’Hôtel Four Seasons avenue George V, non sans avoir auparavant fait une halte de circonstance dans ma garde-robe.
Comme chaque année c'est toute la profession qui se retrouve, avec joie et fraternité, à l'occasion de ce rendez-vous toujours très attendu.
A table je suis en excellente compagnie puisque je suis entouré de Jean-Baptiste Lécaillon, chef de cave de la maison Roederer, de l’élégant Gaylord Robert, chef sommelier du non moins élégant Alain Passart (***l’Arpège), de Frédéric Bouché, chef sommelier à l’Assiette Champenoise qui est à la tête de l'une des plus belles cartes de Champagne au monde (***Tinqueux) et du très ovationné David Biraud, chef sommelier du restaurant Sur Mesure (**) auprès de Thierry Marx au Mandarin Oriental. Sa récente seconde place au concours du Meilleur Sommelier du Monde à Mendoza en Argentine, font désormais de lui l'une des figures les plus emblématiques de la sommellerie mondiale.
La relève de la profession semble donc, plus que jamais, parfaitement assurée et la magnifique bienveillance des grands anciens à l'égard de la jeune génération (dont j'ai la faiblesse de penser que je fais encore partie !) fait vraiment plaisir à voir. C'est d'ailleurs en évoquant ce respect intergénérationnel mutuel (dont beaucoup de corps de métiers feraient bien de s'inspirer) que Jean-Luc Jamrozik, Président de l'Association des Sommeliers de Paris, ouvre l'événement.
Le "menu" de cette édition 2016 sera intégralement consacré au Champagne avec, vous allez le constater, quelques monuments du domaine.
Millésime béni, 2002 a été sauvé par une vendange d’exception. L’assemblage Pinot Noir (55%) et Chardonnay (45%), au service d’un cycle végétatif difficile jusqu’en Septembre, donne la pleine mesure de ce qu’est un grand Champagne.
La robe est jaune or et teintée de reflets boutons d’or. Le nez est généreux : fruits secs, noisette et de fruits mûrs à chair jaune.
La bouche crémeuse est marquée par une matière riche et enveloppante. La fine effervescence rend délicate et souple une sensation tactile, suggérant un dosage encore présent. Le spectre du millésime 2002 se dessine à travers la vinosité caractéristique du Pinot Noir.
Cristal réalise avec le ris de veau (servi pour l'occasion) un accord de haute volée, tout en progression. Charmeur et voluptueux, sa bulle texturée, rehausse une finale salivante au contact d’une garniture végétale.
Rarement chef de cave aura autant marqué de sa personnalité et de son empreinte une maison de Champagne.
J'avoue volontiers une admiration sans équivoque pour cette cuvée… Pour moi, P2 1998 est l’équation parfaite qui réalise, avec une seconde jeunesse retrouvée après 16 ans de vieillissement, la sérénité suivant le choc oxydatif du dégorgement.
Les arômes fermentaires offerts par les levures ont laissé place à une partition iodée et vineuse. Millésime extrême, 1998 offre un équilibre quasi parfait entre puissance et précision. L’accord avec l'oursin (servi durant le dîner) est pénétrant et baroque.
Sans doute le plus Britannique des vins de Champagne, Pol Roger incarne parfaitement ce que signifie le « goût anglais ». L’amitié qui a lié cette maison à Sir Winston Churchill est ici célébrée avec cette cuvée éponyme.
Le style Pol Roger, sec, vineux et taillé pour la garde en fait un flacon que l’on réserve strictement aux grands instants de gastronomie.
Habillée d’une robe or paille soutenue, la cuvée prestige offre des reflets cuivrés ainsi qu’une effervescence délicate. Gourmand autant que puissant, le nez brioché cède la place à un registre musqué, combinant le balsamique aux essences d’agrumes et de pain brûlé.
C’est en bouche qu’évolue une trame minérale donnant la réplique à une attaque franche et fruitée. L’onctuosité du homard cuit à la nacre, appuyé par un jus coraillé vient amplifier, grâce à l’iode, la persistance aromatique du Champagne dans un accord juste combinant structure et vivacité.
Pour tous les amateurs éclairés, Krug est l’archétype du grand vin de Champagne. Le chef de cave, Éric Lebel entouré de son équipe et de la famille Krug sont les garants attentifs d’un style unique et abouti.
Privilège d’un instant marquant, 1982 est un millésime fabuleux, lumineux et d’un grand classicisme.
La tradition de l’assemblage érige en mythe cette combinaison (de 15 à 20 crus issus de 25 à 30 vins) vinifiée en petit fût (meslier) de chêne de la forêt d’Argonne. L’occasion nous fût donnée de la déguster en Magnum…
Dans une livrée vieil or aux reflets vermeils évolue une bulle subtile et encore vive. La chaleur du millésime cohabite avec un registre immensément généreux. Je suis immédiatement frappé par la puissance du nez développant de notes de toast, de fruits secs, de miel, de châtaigne, mais aussi de caramel et d’agrumes confits. La bouche lui dispute l’opulence d’une trame à peine évoluée. Sphérique jusqu’à sa finale, cette cuvée exige une cuisine en relief, légèrement épicée.
La maison Charles Heidsieck a connu en la personne de Daniel Thibault l'un des plus brillants chefs de cave.
A l’origine du concept complètement nouveau de la "mise en cave" (cuvée brute sans année, mentionnant le temps pendant lequel le champagne est laissé en contact avec ses levures avant dégorgement et mise sur le marché), il nous a quitté prématurément en 2002 laissant derrière lui une nouvelle approche du vin : celle de l’art de l’assemblage des crus et des millésimes.
Le fantasque Charles-Camille Heidseick, fondateur de la maison qui porte toujours son nom, fut, quant à lui, un personnage audacieux et pétulant. La cuvée Charlie est donc une cuvée collector, dont le format (le double magnum/Jéroboam) est une véritable pièce de collectionneur.
Séduit par une robe topaze claire, je perçois les reflets évolués. La fraicheur de ce vin lui assure un squelette remarquable, droit et charnu. Son expression aromatique passe par des phases complexes, tour à tour iodées, toastées, frangipanées et épicées. La cuvée Charlie offre une bouche impressionnante à la patine crémeuse… Puissance et style, maturité et élégance : le mariage de la vinosité du Pinot noir et de la vivacité des Chardonnay (30%), confère à ce vin un charme fou.
L’accord proposé pendant le repas avec le fromage Lombard (fromage de Lozère) aux saveurs franches et à la texture douce trouve son point d’orgue en présence de la poire subtilement condimentée d’épices.
Les vins de Lucien Lemoine témoignent d’une vision esthétique très personnelle. De son vrai nom Mounir Saouma, ce négociant atypique réunit toutes les exigences d’un vigneron à part entière.
Ses fûts sont tous réalisés en forêt de Pupille et il vinifie de nombreuses appellations (en Bourgogne et en Rhône notamment) en quantités confidentielles et avec des durées d'élevage particulièrement longues (entre 20 et 24 mois).
Magis surprend par sa structure aromatique ainsi que par la fraicheur de sa finale au palais.Une robe jaune paille à l’intensité marquée trahi une approche s’écartant des standards visuels contemporains (Mounir ne filtre pas ses vins). Des larmes grasses tapissent abondamment mon verre, présentant, à l’olfaction, un profil étonnamment bourguignon.
Les grenaches blancs, majoritaires, déploient une palette complexe d’infusion de miel et de chèvrefeuille. Puissance et complexité s’affirment à l’aération, installant alors un nez généreux dans des tonalités toastées, chaudes et légèrement épicées.
Le palais propose quant à lui des repères moins déconcertants. Intenses et savoureux, les fruits jaunes mûrs évoluent avec de fins amers ainsi qu’une finale fraiche et tendue.
Il n’y aura pas de prochain millésime car cette parcelle a été vendue.
Blair Pethel, ex journaliste politique américain, s’installe à Savigny-les-Beaune après avoir quitté Londres en 2003. Ses vins témoignent d’une approche perfectionniste. Ce premier cru offre un style très caractéristique de Meursault. Un peu moins précoce que les Perrières, les Charmes évoluent entre Puligny les Combettes et les Genévrières. Sur un terroir très caillouteux, argilo-calcaire, Blair Pethel mise sur une certaine uniformité.
Quelques reflets émeraude animent une robe jaune dorée étincelante. Ce 2013 laisse percevoir immédiatement les maturités offertes par des expositions Sud-Sud-Ouest au soleil couchant. Les notes aromatiques sont intenses : infusion, tilleul et chèvrefeuille. Le plaisir va croissant, la bouche est aérienne avec juste ce qu'il faut d'acidité.
Ce vin est certes jeune mais aucunement indécis, tout juste impatient de s’étirer de façon plus arrondie. La finale est joliment texturée et persistante. Les plus patients l’oublieront 3 à 5 ans, et ils auront raison !
Le « côteau du Château » définit ce grand cru d’Alsace comme le premier (1973) et le plus grand (80ha 28) de cette mosaïque de terroirs.
A mi-coteau de Schlossberg, les Rieslings du domaine Weinbach sont inimitables. Respectée et admirée dans le métier, Colette Faller, volontiers surnommée « la pionnière du Weinbach » reprend, après la mort de son mari Théo en 1979, la direction du domaine avec ses filles, Catherine et Laurence.
Cette ancienne propriété de 5 ha de l’ordre des moines Capucins a laissé la place à 28 ha de vignes cultivées en biodynamie.
Planté sur un terroir d’arène granitique qui surplombe la vallée de la Weiss, le Riesling brille par son éclat minéral et sa pureté aromatique. Le microclimat, régulé par les eaux de la rivière Weiss, assure une relation essentielle entre ce cépage à maturité tardive et l’expression unique de ces sables granitiques réverbérant les rayons du soleil.
La cuvée Sainte Catherine s’illumine de reflets métalliques, arborant une robe dorée intense et cristalline. Les arômes délivrés par ce millésime 2014 sont mûrs et extrêmement élégants : fruits estivaux, pêche blanche, yuzu, citronnelle. Vendangé très tardivement (le 25 Novembre…jour de la Sainte Catherine) sur les vignes les plus anciennes, et élevé en foudres, ce vin propose une bouche fondante et gracieuse aux acidités fines. La finale est suave et minérale.
Superbe d’équilibre ce millésime 2014 joue l’harmonie, tout en sachant se faire attendre.
Déguster le Mouton Rothschild 2003 est une expérience sensorielle absolument unique.Sur un sol graveleux et filtrant, sont réunis au cours de cette vendange idéale, tous les éléments propices à l’expression de Cabernets Sauvignons à des maturités rarement atteintes. De longs élevages, d’environ 20 mois, en fûts neufs (mais avec des chauffes modifiées) lui assurent un niveau de concentration qui se révèle dans une robe intense, pourpre, aux reflets légèrement évolués.
Le nez est franc, et ouvre sur un registre de fruits noirs, la myrtille, le cassis, avant d'évoluer, à l’aération, vers une multitude d’arômes complexes. L’élevage porte le fruit avec aisance et développe des fragrances précieuses de boite à tabac, de cuir et de cèdre du Liban.
Souple et feutré en bouche, le style est séduisant grâce à un tannin fondu, délicieusement intégré.
Souvenez-vous de ce nom : Roc de Cambes AOP Côtes de Bourg. Car si l'appellation ne fait pas partie des grandes AOC, ce vin est un grand vin.
Réalisé non loin de Bourg, ce vin élevé par François Mitjavile (qui est également "l'auteur" du célèbre Tertre Roteboeuf) , assisté de sa fille Nina, est issu de vignes assises sur trois versants installés en amphithéâtre. Profitants des bienfaits apportés par sa situation en haut de plateau, la magie opère grâce à l’assemblage singulier de 60% de Merlot, 20% de Cabernet-Sauvignon, 10% de Cabernet Franc et de 5% de Malbec (appelé aussi Côt).
Rouge pourpre, le vin arbore une frange brune révélatrice d’une phase mature délivrant des arômes puissants de mûre, de prunes, de cassis et de poivre noir. La durée de l’élevage et la présence de Malbec amènent ce vin ample et velouté, de façon presque insolente aux frontières de certains grands crus de Bourgognes.
Le plus Bourguignon des Bordelais ?
- Anthony Hubault est chef-sommelier à La Table du Connétable (**Michelin) à l'Auberge du Jeu de Paume à Chantilly. Il a été finaliste du "Meilleur Ouvrier de France", classe sommellerie, en 2015.- Il est le propriétaire de la Cave Hubault 1539 à Chantilly.