Interview de George Glasgow Jr de la maison George Cleverley

Hugo JACOMET
8/2/2011
Interview de George Glasgow Jr de la maison George Cleverley

Gentlemen,

nous continuons notre partenariat fructueux et passionnant avec l'excellent blog The Shoe Snob et son éditeur Justin Fitzpatrick qui est un vrai passionné des beaux souliers et qui est en train de créer sa propre collection de modèles, tout en offrant désormais aux clients de Gieves and Hawkes sur Savile Row, un service de patines traditionnel.

Il a rencontré récemment George Glasgow Jr, fils et héritier du fondateur de l'auguste Maison George Cleverley, pour un interview passionnant dont voici les meilleurs extraits.

1. Quel est votre rôle chez Cleverley?

Je suis directeur artistique chez George Cleverley, mais je joue plusieurs rôles. À Londres, je passe du temps avec notre dernier artisan, et j’apprends les dernières techniques de construction. Je prends aussi les mesures des clients. Je voyage aux Etats-Unis avec mon père depuis l’âge de 13 ans, et la plupart de nos clients sont maintenant des amis. En outre, je dessine de nouveaux styles, que je présente aux clients pour obtenir leurs commentaires.

Malheureusement, puisque je passe le plus clair de mon temps à voyager, cela prend du temps. Je crée nos nouveaux modèles et je suis chargé des ventes privées aux Etats-Unis et en Asie. Dans 3 semaines, je pars en Asie pour environ 3 semaines et je visiterai Tokyo, Singapour, Séoul et Pékin pour y tenir les ventes privées de Cleverley.  En outre, je visite les clients qui ne peuvent y assister.

2. Quel est l’aspect le plus stimulant dans la direction d’une maison spécialisée dans les chaussures sur mesure et prêt-à-porter ?

J’ai la grande chance de rencontrer des gens formidables et très intéressants dans mes affaires.  On ne sait jamais qui va se présenter dans notre boutique londonienne ou aux ventes privées. On peut commencer la journée avec un professeur d’université et une star du cinéma, mais les deux apprécieront tout autant le beau soulier.

3. Vous êtes le fils de Monsieur  Glasgow Sr., donc naturellement prédestiné à la chaussure. Avez-vous déjà souhaité faire autre chose ?

Comme j’ai grandi dans les ateliers Cleverley et que ma famille visitait souvent nos ateliers de Cornouailles, on peut dire que j’étais dans le business par défaut. Mais j’ai étudié l’économie et la politique à l’université de Londres. Après avoir obtenu mon diplôme, je suis parti travailler dans la finance à Los Angeles où j’ai été analyste d’investissements pendant 3 ans.

Je passais mes congés à travailler avec mon père dans ses ventes privées aux Etats-Unis, ce qui me plaisait beaucoup. J’ai fini par passer complètement à l’entreprise familiale. Lors des ventes privées, j’ai vu que la plupart des clients étaient devenus de bons amis de mon père, souvent depuis de nombreuses années. J’étais ravi de voir à quel point mon père et toute notre équipe appréciaient notre commerce et la compagnie de gens aussi épatants semblait agréable.

J’ai insisté pour que mon père m’embauche.

4. Décrivez-moi la chaussure sur mesure la plus unique qui vous ait été commandée.

Il est très difficile de décider quel est le soulier le plus unique qu’un client nous ait commandé en sur-mesure, parce que, même aujourd’hui, je vois plusieurs modèles uniques dans notre atelier. Je dirais que, pour moi, le plus unique a été un ancien bottillon Edouardien à boutons que nous avons fabriquée pour David Beckham.

Lors d’une visite à notre boutique de Londres, il avait choisi un bottillon de plus de 60 ans que nous avions en vitrine. Il avait tous ses boutons, fonctionnels et cousus main, et il fallait un outil particulier pour le déboutonner.

Nous avons redessiné le bottillon pour y ajouter une fermeture éclair sur le côté opposé, que nous avons couvert de cuir, pour lui permettre de les enfiler et de les enlever sans utiliser les boutons ou y passer un quart d’heure. Cette botte était unique de par son style Edouardien, mais nous lui avons ajouté un attribut moderne.

Moi (le Shoe Snob): De la musique à mes oreilles : je suis si jaloux !!!! Je n’ai pas encore appris à faire les bottillons, alors pour la création d’un bottillon Edouardien, il faudra bien repasser.

5. Parmi tous les souliers fabriqués par Cleverley, lequel préférez-vous ?

Mon favori est le « Churchill » (image ci-dessus), un soulier classique à élastique latéral et faux lacets, véritablement créé par George Cleverley pour Sir Winston Churchill. Lui et son père fabriquaient ce style il y a plus de 60 ans chez Tuczuc sur Clifford Street. J’aimais tant cette chaussure que j’ai dessiné une version bottillon avec faux lacets qui a été très bien accueillie. Ce que j’aime dans le bottillon, c’est qu’il convient bien aux voyages : il se porte aussi bien avec un jean qu’avec un beau costume. Nos amis chez Leather Soul (Tom & Bryan) nous ont tous deux commandé des bottillons sur mesure très beaux qui sont en cours de fabrication. Je crois que les changements qu’ils ont apportés à mon design seront très réussis.

6. Pouvez-vous décrire le processus créatif en prêt-à-porter (PAP)?

D’emblée, tous nos styles PAP découlent du sur-mesure : si nous voyons qu’un style sur mesure est très populaire ou convoité, nous l’intégrons à la ligne PAP. En quelque sorte, nos clients nous aident à dessiner les nouveaux styles PAP. John et Teemu participent de très près à la coupe et au design des nouveaux styles PAP. Nous sommes aussi très fiers d’être aussi sélectifs dans le choix des peausseries que nous nous procurons pour fabriquer nos chaussures PAP. Il est important pour nous d’offrir à nos clients enPAP des souliers d’excellente qualité intégrant certains éléments du sur-mesure Cleverley, comme le bout Cleverley ou l’élastique latéral invisible. Nous visons la création d’environ 10 à 15 nouveaux styles sur mesure par année, qui sont inspirés par nos archives auxquelles nous apportons quelques légères modifications. Ceux qui nous semblent les meilleurs sont archivés sur des patrons à partir desquels nous fabriquons quelques exemplaires pour la ligne PAP. Nous avons aussi un petit atelier dans le Kent, où Dominic travaille quelques jours par semaine.

7. Si vous héritez du trône, où souhaitez-vous voir la compagnie dans 15 à 20 ans ?

Un peu où elle est aujourd’hui. Mon père dirige toujours la compagnie comme un « club » car il aime son  métier, tout comme le premier George Cleverley. Nous ne sommes pas intéressés à vendre nos chaussures dans toutes les boutiques du monde puisque cela dépouillerait Cleverley de ce qui en fait une maison aussi spéciale.

Prenons le Japon pour exemple. Mon père a commencé à collaborer avec BEAMS (qui vend nos chaussures PAP et demi-mesure) lorsqu’ils n’avaient que quelques boutiques, il y a plus de 25 ans. Il y en a aujourd’hui plus d’une centaine et nous sommes toujours aussi proches, mais la croissance a été toute naturelle.

Nous sommes souvent sollicités par des boutiques qui souhaitent offrir nos souliers mais nous n’aimons travailler qu’avec des détaillants qui ont un véritable amour et une vraie passion pour la chaussure : c’est très important.

8. Quelles autres chaussures admirez-vous ?

Malheureusement, je ne vois pas beaucoup d’autres chaussures. Mais les quelques dernières JLP (John Lobb Paris) que j’ai vues étaient très belles, c’est donc difficile à dire. J’aime bien John Lobb Paris, Dimitri Gomez et Fosters & Son. Bien qu’il n’existe plus, j’admirais beaucoup Anthony & George Cleverley.

Nous avons toujours certaines de leurs chaussures originales dans notre boutique de Londres. Elles sont magnifiques et extrêmement bien fabriquées; cela met la barre haut en termes de qualité.

9. Vous  êtes dans le monde de la chaussure depuis l’âge de 13 ans : combien de paires de chaussures avez-vous fabriquées ? Combien en avez-vous possédées?

Depuis des années, je travaille aux côtés de Teemu pour enrichir mes techniques de la fabrication de formes, mais comme je voyage sans cesse, il m’est difficile d’y consacrer assez de temps pour bien maîtriser cet art. Je possède une dizaine de paires de chaussures sur mesure, 5 paires d’ACs (Anthony Cleverley) et plus de 25 paires de PAP dans ma collection.

J’ai toujours du mal à me décider sur une nouvelle paire, parce que les possibilités sont infinies en sur-mesure.

10. Quelle tendance actuelle du soulier vous effraie le plus?

La tendance la plus ahurissante est celle qui rend les chaussures de plus en plus pointues et  étroites. Non seulement elles ne me semblent pas confortables, mais en outre ceux qui les portent les achètent trop longues pour compenser. L’autre tendance est la mention « fait à la main » sur plusieurs produits qui ne le sont pas, alors que le grand public croit qu’il s’agit de produits faits main.

Moi (Le Shoe Snob): Moi aussi je déteste voir « Fait à la main » sur la semelle intérieure ou extérieure d’une chaussure visiblement fabriquée à la machine. Il est désolant de voir ce mot galvaudé depuis quelques années.

11. Que conseillez-vous aux futurs bottiers et créateurs de souliers ?

Je leur conseille de se concentrer sur un aspect de la chaussure et d’en devenir spécialiste. En moyenne, il faut compter 3 à 5 ans pour maîtriser un seul aspect de la construction chez Cleverley. Par exemple, Adam est arrivé chez Cleverley en provenance de Rolls Royce et a mis 4 ans à pouvoir fabriquer les formes. Il a aussi travaillé aux côtés de John Camera pour apprendre à bien couper, ce qui semble très bien lui réussir.

Dotez-vous d’un style maison unique qui vous distingue des autres. Mettez toujours tout votre coeur dans votre production, et ne pensez pas tout de suite à votre porte-monnaie.

Justin Fitzpatrick - Janvier 2011

No items found.
No items found.