Chers lecteurs,
Vous aurez sans aucun doute déjà fait à plusieurs reprises l’expérience désagréable d’échanger avec une personne non pas seulement étrangère à l’univers du costume, mais aussi et surtout aigrie envers ce dernier. Les préjugés envers l’élégance vestimentaire sont souvent bien installés dans l’esprit de nos contemporains, et beaucoup se font une idée bien austère de l’univers de l’art tailleur.
C’est justement dans l’objectif de montrer combien ces préjugés sont erronés, que j’ai décidé de vous parler aujourd’hui des frères Massimiliano et Francesco Mocchia di Coggiola.
Au-delà de l’image sulfureuse et provocatrice entretenue par ces deux frères, vous pourrez en effet trouver dans leur travail les marques d’un savoir extrêmement pointu et d’une créativité saisissante – qualités d’autant plus appréciables, que dans notre milieu, beaucoup se proclament experts alors qu’ils ne connaissent pas grand-chose à leur sujet.
Le visage de Massimiliano est familier de beaucoup d’amateurs du monde sartorial. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, la plupart des photos que vous retrouverez de lui dans I am Dandy (de Rose Callahan et Nathaniel Adams), sur Instagram ou dans la presse spécialisée, vous donneront un premier aperçu de sa personnalité : de son excentricité, de son sens aigu de l’esthétique, mais aussi de son autodérision et de son ironie.
Je vous invite néanmoins à aller plus loin, et à consulter ses écrits. On lui doit plusieurs ouvrages érudits (et agréables) sur la question du dandysme, mais aussi des articles bien sentis sur des sujets plus divers, publiés dans Dandy Magazine entre autres. Ses connaissances sur la mode, le vêtement et l’histoire de l’élégance – française ou italienne – font de lui un interlocuteur particulièrement éclairé. Du reste, et même s’il le contredira sûrement, Massimiliano incarne à mes yeux ce qui se fait encore de plus dandy à Paris.
Comme je le disais, à l’heure actuelle, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, en français (Du Monocle, chez Le Chat Rouge, dont je recommande vivement la lecture ; Prosecco et vieilles dentelles, chez Les Editions des Lumières ; Dandysmes chez Alter Publishing) et en italien (la version italienne de son ouvrage sur le dandysme, ainsi qu’un essai sur les abus de l’élégance, intitulé Il gagà). Parmi ses publications à venir en 2024, je mentionnerai deux ouvrages qui nous intéressent particulièrement : la réédition de Dandysmes, mis au goût du jour, ainsi que Tatiana Tolstoï, une arbitre des élégances, un essai biographique dont le contenu s’annonce séduisant.
Par les mots, Massimiliano parvient à faire resurgir un passé haut en couleurs, celui des grands noceurs, des excentriques, des artistes fanatiques et inclassables. Cette dimension de l’histoire de l’élégance pourra sembler secondaire en comparaison d’autres modèles de référence : il me semble pourtant qu’on ne peut se faire une idée authentique de ce qu’était autrefois notre société si l’on puise toujours ses inspirations au même endroit. Notre passion pour les films d’Hollywood ou le style old money ne devrait pas occulter le fait que les contours de l’élégance se sont aussi dessinés dans les Années Folles, boulevard du Montparnasse ou dans les bars des grandes capitales européennes et mondiales, ainsi que dans certaines destinations balnéaires.
Francesco est issu du monde de la mode (il est notamment diplômé de l’Istituto Europeo di Design), et affiche une compréhension impressionnante du vêtement. Il vit entre Paris, Milan et Turin, arborant à présent les couleurs de la marque qu’il a fondée en 2018 avec son frère Massimiliano : Fratelli Mocchia di Coggiola.
Francesco occupe un rôle clé dans l’équilibre de cette marque : c’est lui qui vous recevra en rendez-vous au showroom parisien, qui prend les mesures, conçoit les coupes et la direction artistique de la marque – avec bien sûr ici l’appui de Massimiliano. Ce dernier s’occupe en particulier de réaliser des dessins, déclinés en plusieurs usages : pour des doublures de veste, des pochettes (chose peu surprenante en demi-mesure), ainsi que pour … des chemises imprimées (moins courant en demi-mesure, vous me le concèderez !). La marque ne cache pas son intention de détourner les codes, jouant volontiers avec le sérieux et le comique, comme vous pourrez vous en rendre compte en passant un peu de temps sur le site internet. Pour les plus curieux d’entre vous, d’autres dessins de Massimiliano sont actuellement exposés chez Daniel Lévy, dans le 8e arrondissement, à Paris.
Mais revenons à notre affaire.
FMC est une marque de demi-mesure, dont la vie est rythmée par le lancement de « collections », deux fois par an. Comme pour beaucoup de marques sartoriales, chaque semestre bénéficie ainsi de sa propre campagne de publicité, avec la mise en avant d’articles adaptés à la saison. Il ne s’agit pas de collections de prêt-à-porter, mais bien d’un catalogue de propositions stylistiques qui doit guider les clients, en les renseignant sur les créations réalisables chez FMC.
Le lancement de ces « collections » est un petit événement que j’attends à chaque fois avec beaucoup de curiosité, car il faut dire que la direction artistique de la marque est aussi décalée que soignée : soirée décadente pour l’Automne/Hiver 2022, hommage à Thomas Mann et à Venise pour l’été 2023, et, plus récemment, un hiver 2023/2024 placé sous le signe de l’humour noir avec « Nero » (les clips promotionnels méritent le détour, je vous assure).
Je vous rassure, les Fratelli sont capables de réaliser toutes sortes de créations, au-delà de ce premier abord quelque peu pittoresque. Comme l’explique Francesco: « Nos univers thématiques, nos collections, sont forts en termes de couleurs, d'inspirations, de silhouettes, de choix des tissus ; mais ils ne sont qu'une facette de ce que nous sommes capables de faire à partir du costume classique. En suivant les règles, ou pas ».
Ainsi, pour clore cet article, quelques propositions résolument exotiques qui, à mon sens, résument bien ce style de la marque, à mi-chemin entre la témérité d’une mode stylisée à l’extrême et la maîtrise parfaite des codes du vestiaire masculin classique : un ensemble « de maison » en velours bleu, une saharienne et son pantalon, et une dinner-jacket fort séduisante. Je vous invite à visiter la page Instagram des Fratelli : l’épaule de la maison est délicieusement insolente par ses dimensions, tout comme les revers de veste. Je ne mentionnerai même pas le volume et la forme des pantalons, qui sont un régal pour les yeux – après tout, les images parleront d’elles-mêmes.
Je vous souhaite une excellente semaine chers lecteurs !
Léon Luchart