Mes premiers pas dans la Forteresse représentent un moment que j’aurai du mal à oublier. Bien sûr, du Pitti Uomo, j’avais quelques idées. Je savais qui j’allais y trouver, quelle ambiance devait y régner, et quelles marques étaient représentées. Il y a en revanche une expérience qui ne se prévoit pas, qui se trouve aux antipodes de la vanité à laquelle on associe ce salon : je veux parler de cette impression d’entrer dans une grande famille.
J’appartiens à une génération qui s’est éduquée, et qui continue de s’éduquer, en observant les photos du Pitti. Du sartorialisme, on y voit ce qui se fait de meilleur et de pire – et vous en conviendrez, on apprend en regardant. Mais il s’opère un basculement quand vous serrez soudainement la main à MM. Liverano ou Ieluzzi. Leur nom a beau être devenu légendaire, ces hommes se montrent d’une simplicité et d’une gentillesse tout à fait saisissantes. Alors oui, on a plaisir à pavaner en descendant les escaliers, à sourire aux photographes depuis le muret ; mais cela vaut sans doute la gaieté d’une discussion mi-italienne mi-anglaise menée devant le stand Calabrese ou Petronius. Lors de chacune des discussions que j’ai eues avec les grandes figures du Pitti, j’ai obtenu cette réponse : plus qu’une grande messe vouée à produire des images pour les réseaux sociaux (ce que bien sûr le Pitti est aussi), l’événement constitue une réunion chaleureuse. On y retrouve des proches dont on chérit et admire le travail, on passe du temps avec des maisons de tailleurs et bottiers formidables. Et de cela, même les habitués ne se lassent pas.
Le Pitti 104 aura été l’édition parfaite pour se jeter dans la mêlée. La fréquentation du salon n’a certes pas encore retrouvé son état d’avant le Covid, mais poursuit sa remontée. Nous avons pu profiter d’un deuxième jour très intense, et de quelques très belles soirées privées. Une inquiétude se dessine toutefois du côté de la désertion quelque peu anticipée du salon, qui a tendance à se vider de plus en plus lors du troisième jour – au profit vraisemblablement de la fashion week milanaise. Nous verrons ce qu’il en est lors des prochaines éditions.
Les propositions vestimentaires étaient intéressantes, et, naturellement, nous avons eu droit à quelques très beaux choix de couleurs – des jaunes qui nous ont impressionné, beaucoup de blancs cassés et de verts, ainsi que quelques roses. Comme vous le savez, l’édition estivale est plus contraignante que celle de janvier : moins d’épaisseur, moins de choix dans les étoffes et les matières, peu d’accessoires susceptibles de prendre de la place. On y trouve pourtant une certaine jouissance à contourner le défi de la chaleur, et les lins et autres seersuckers ont donné quelques très belles tenues. La créativité se révèle parfois davantage dans les situations de contrainte que dans l’absolue liberté. Le tableau aurait été incomplet sans les foulards qui se sont souvent substitués aux cravates, les sahariennes et quelques vestes croisées négligemment ouvertes.
Que faisons-nous quand nous nous habillons ? Nous célébrons l’instant. Et cela fait longtemps que Parisian Gentleman milite pour faire de chaque moment de la vie une raison de paraître sous son meilleur jour. Le Pitti représente à lui seul l’ambition portée par le sartorialisme. A l’instar de notre mouvement, il se montre riche de contradictions fécondes et d’esprits brillants. Et tout comme notre mouvement, il peut être caricaturé par certains. Mais notre mission est d’attirer le regard sur la vraie force de ce qui se joue dans la Forteresse deux fois par an : le rassemblement autour de valeurs communes, la croyance profonde en une permanence du style masculin classique, et surtout, surtout, la joie de célébrer les grandes maisons et les grands noms qui font vivre l’élégance. Le Pitti n’est pas un moment isolé dans nos vies ; c’est un point d’apogée qui illustre des convictions qui nous accompagnent tous les jours : le plaisir de porter de beaux vêtements, le désir de créativité, l’envie d’inspirer – et c’est dans cet état d’esprit que PG continuera d’aborder les prochaines éditions de cet événement.