En matière d’élégance, le port du chapeau fait parfois un peu peur : comment être sûr de ne pas trop en faire ?
En effet, il est souvent considéré comme un accessoire non seulement superflu mais ostentatoire et appartenant au registre dandy. Pourtant, le chapeau était de rigueur chez les hommes (et les femmes) jusqu’aux années soixante-dix et notre époque est sans doute la première où l’on va nu-tête. Un beau film d’époque du documentariste Burton Holmes donne d’ailleurs une idée de l’atmosphère sartoriale des années 1920 à Paris. Les homburgs et les canotiers, sans parler des costumes trois pièces et des mouchoirs de poche ne sont pas seulement courants, ils sont la norme…
On attribue parfois à l’automobile (et au vélo !) une part de responsabilité dans la disparition du chapeau : trop encombrant, et s’envolant plus facilement, le chapeau aurait cédé la place à la casquette.
En réalité, c’est un ensemble de facteurs socio-économiques et culturels qui explique la décontraction généralisée des tenues qui est devenue le trait majeur de l’après-guerre. Le port du chapeau, qui participait de cet ordre vestimentaire, a connu le même sort que le costume, la pochette ou la cravate et passe souvent aujourd’hui pour une pure fantaisie sartoriale.
Cependant, le chapeau semble mieux toléré s’il est porté pour des raisons «utilitaires», à savoir se protéger de la pluie ou du soleil.
Pourtant, une résurgence du chapeau semble se faire jour, dans le monde de l’élégance classique mais aussi, paradoxalement, grâce aux hipsters, rappeurs et autres modèles médiatiques qui diffusent, par contrecoup imitatif, le port du chapeau. Dans ce cadre, la fantaisie est de mise et il est donc difficile d’y trouver la moindre logique sartoriale.
Il existe ainsi différentes catégories de couvre-chefs qui reviennent à la mode, notamment le trilby fantaisie, dans des matières souvent bon marché. Dans les tenues casual, il connaît aujourd’hui un certain engouement parce qu’il donne à bon compte (et à peu de frais) un côté « artiste » (on le trouve même parfois appelé jazz trilby, exploitant ainsi un cliché musical sans guère de fondement dans la réalité — hormis chez le pianiste Jason Moran).
Le trilby, doté d’une petite couronne et de bords étroits, doit son nom à l’adaptation scénique du roman éponyme de George Du Maurier en 1894 dont l’héroïne portait un chapeau qui popularisa l’appellation.
La dénomination du fédora, qui est un feutre à larges bords, provient quant à elle d’une pièce de théâtre de Victorien Sardou de 1882. Sarah Bernhardt choisit d’interpréter le personnage de Fédora Romanoff en portant un chapeau masculin — le nom et le couvre-chef furent immédiatement adoptés par les féministes. On l’appelle également Borsalino d’après l’emblématique marque italienne.
Dans le grand débat opposant le trilby au fédora, le trilby possède assurément moins de prestance.
Ses bords courts donnent une allure un peu étriquée au visage et sa forme reste raide et sans variation tandis que le fédora, ou feutre « mou », permet justement de sculpter davantage les bords et d’en accentuer éventuellement l’asymétrie.
Il est semble cependant inadéquat aujourd’hui de les différencier en considérant le trilby comme moins « formel ». D’une part parce que le fédora n’a jamais été associé à une occasion particulière (contrairement au haut de forme). Et d’autre part, parce qu’on peut difficilement évaluer le formalisme d’un couvre-chef dans la mesure où la moindre cravate, la moindre chaussure de ville bien cirée ou a fortiori le moindre mouchoir de poche est déjà considéré comme formel par la plupart de nos contemporains (le syndrome, bien connu ici, du « Tu vas à un mariage ? »).
L’échelle de formalisme et les règles qui en découlent (proscrivant le marron en ville, les matières non nobles, etc.) appartiennent en effet à un passé très lointain et ont peu de choses à voir avec les questions de style personnel telles qu’elles se jouent aujourd’hui.
A ce sujet, la notion de « formalisme » à d’ailleurs tendance à être mal employée : est « formelle » une tenue qui doit correspondre à une « forme » définie, c’est-à-dire à des contraintes liées à un événement ou à des règles particulières. C’est le cas du smoking, du frac, etc. Comme nous l’avons dit, les règles sociales dictant le caractère approprié des tenues n’existent plus — sauf par référence nostalgique.
Il semble que dans les questions d’élégance masculine qui nous occupent, l’échelle d’appréciation oppose plutôt les tenues casual (en français « décontracté » — on disait autrefois « sport ») aux tenues dites « habillées ». Le terme de tenue business, est quant à lui, un concept encore différent qui aurait tendance, dans le cadre de certaines professions, à bannir la fantaisie sartoriale pour se restreindre au costume le plus sobre.
Dans tous les cas, il ne s’agit donc plus du tout de formalisme puisqu’il n’y a plus aucune forme particulière à respecter.
Concernant les chapeaux, le fait même d’ajouter un accessoire à une tenue habillée en renforce la distinction. A ce titre, un homme en costume sera forcément perçu comme davantage « endimanché » avec un chapeau, que ce soit un trilby ou un fédora — même si, assurément, le fédora ajoute un je-ne-sais-quoi de raffinement…
Dans le domaine qui nous occupe, celui de l’élégance classique, le port du chapeau dépend du reste de la tenue et constitue un élément non négligeable pour lui donner du relief en ajoutant, tout simplement, un élément vertical à l’équation pantalon-veston-cravate.
Encore faut-il ensuite l’assumer et savoir « porter le chapeau » sans l’enfoncer tout droit sur le crâne.
Trop penché vers l’arrière, le chapeau peut paraître ridicule. Vers l’avant, il donne l’impression que l’on veut cacher son regard. En matière de port, Frank Sinatra avait un conseil radicalement efficace : il faut positionner le chapeau légèrement en arrière et légèrement de côté. Quand on parle d’un « rakish angle », c’est bien de cette inclinaison canaille dont il est question, comme un clin d’œil que ferait votre chapeau.
A New York, le fédora noir, qui n’était plus porté que par les Juifs orthodoxes, connaît une résurgence stylistique particulière, dans le style casual, adopté par les rappeurs comme par les femmes.
À porter avec une tenue classique, le noir peut paraitre neutre mais en réalité, il s’harmonise difficilement. Il semble plutôt réservé à une mise où domine le gris, notamment anthracite. En revanche, on peut volontiers le porter le soir où les nuances de couleur sont moins perceptibles ou en l’harmonisant avec un pardessus sombre plutôt qu’avec le costume.
Plus adaptable stylistiquement, le feutre gris va avec tout : costume ou veste de couleur bleu, marron, gris, vert… C’est la couleur par excellence du feutre au quotidien, car si le couple veste / pantalon nécessite un contraste ou une harmonie précise, le chapeau est toujours comme détaché du reste de la tenue par la présence du visage : les nuances importent moins que la famille de couleur.
La plupart des chapeliers proposent essentiellement le gris, le bleu et le marron, également très adaptable, parfois le vert. Malheureusement, les coloris plus audacieux sont souvent en feutre de laine et non en feutre de poil, dont l’apparence est nettement plus raffinée. Le feutre de laine est d’une texture plus inégale et moins douce tandis que le feutre de poil est plus agréable, souple et luisant.
Le feutre de poil peut être un feutre ras (le plus courant, d’aspect lisse), un feutre flamand (c’est-à-dire qui imite la fourrure), ou un feutre taupé (qui a l’aspect du velours, fait en poil de taupe, de loutre, de rat musqué…). Avantage non négligeable, le feutre de poil est naturellement imperméable même si les feutres de laine sont désormais souvent imperméabilisés par un traitement chimique (notamment chez Stetson).
Le toucher d’un beau feutre de poil reste cependant un plaisir particulier et sans équivalent.
Il en va du chapeau comme du reste : le style personnel est intimement lié à la qualité des accessoires. L’abondance de produits bon marché fait parfois perdre de vue la réelle différence entre un chapeau médiocre et un chapeau de qualité. Cette différence est pourtant frappante mais il est vrai que nous n’avons plus beaucoup de repères en la matière.
L’industrie du chapeau, autrefois si florissante, a progressivement disparu de notre paysage économique. Hormis les géants que sont Stetson et Borsalino, de nombreuses maisons ont fermé, notamment en France. Songeons à un grand chapelier comme Mossant, fondé en 1833, qui eut à Bourg de Péage (Drôme) jusqu’à 1200 employés pour produire 2000 chapeaux par jour dans les années vingt et qui exportait dans le monde entier. L’entreprise a définitivement fermé en 1985…
En 1930, Espéraza (dans l’Aude) figurait parmi les références mondiales de l’industrie du chapeau (9 millions de cloches exportées) avec 16 usines et 1500 ouvriers qui produisaient des millions de chapeaux.
Dans le Tarn et Garonne, Caussade est l’un des derniers centres historiques du chapeau, même si, évidemment, le secteur n’a plus l’ampleur qu’il avait autrefois. Nous en reparlerons d’ailleurs très bientôt dans un prochain article de PG consacré à la maison Crambes, fondée en 1946.
Malgré l’écroulement des ventes de chapeaux lors de la deuxième moitié du XXe siècle, il n’est pas impossible que cet accessoire ne fasse son retour, non seulement parce qu’il reste quelques fabricants de qualité – notamment des modistes – mais surtout parce qu’il s’inscrit naturellement dans la tradition sartoriale qui est la référence de notre époque, à savoir celle des Gary Cooper, Fred Astaire, Humphrey Bogart ou Cary Grant.
Il ne serait pas étonnant, étant donné le retour en grâce du style masculin classique des années 30 et 40, que les gentlemen prolongent leur tenue d’une référence implicite à cet âge d’or…