Nous suivons depuis longtemps et avec attention chez PG le travail de la maison Rubinacci, l’une des maisons fondatrices du style masculin napolitain qui, vous le savez, fait l’objet d’un engouement planétaire depuis quelques années.
Trois générations de Rubinacci se sont ainsi succédé à la tête de cette institution napolitaine du bon goût et de l’élégance masculine : Gennaro Rubinacci qui fut, de l’avis de tous, l’un des hommes les plus élégants et les plus distingués du Naples des années 50, Mariano, un authentique gentleman que nous avons la chance de bien connaître et de côtoyer chez PG depuis maintenant quelques années et, bien sûr, Luca Rubinacci qui est devenu récemment l’un des hommes les plus photographiés de la planète sartoriale.
La maison Rubinacci possède à ce jour cinq boutiques / salons en propre dont les trois principaux à Naples (dirigé par Mariano), à Londres (dirigé par sa fille Chiara) et à Milan (dirigé par Luca) sont adossés à des ateliers de bespoke tailoring du plus haut niveau.
Depuis le début de cette année, la maison Rubinacci a réalisé une extension de son salon situé à l’origine sur la célèbre Via Montenapoleone dans le centre de Milan, au coeur du superbe Palazzo dei Conti dei Melzi di Cusano, afin d’ouvrir un second accès au numéro 1 de la désormais célèbre Via Gesù, l’une des artères les plus prisées de la capitale Lombarde, à quelques mètres du Four Seasons Milan.
Nous n’avions jamais eu l’occasion de visiter ce nouvel emplacement ni, surtout, de vraiment passer du temps avec Luca, hormis quelques discussions – par ailleurs toujours aimables – au milieu du brouhaha et de la mêlée des photographes du Pitti Uomo ou quelques échanges rapides lors des – nombreux – cocktails de notre univers sartorial…
Cette rencontre de la semaine dernière fut donc l’occasion pour nous de découvrir un peu plus l’homme qui se cachait derrière l’image de « jet-setter », beau gosse, bronzé, insouciant, riche et célèbre de l’héritier des Rubinacci… Une image qui était loin, de prime abord, d’être notre tasse de thé chez PG alors même que notre estime pour le travail de la maison éponyme et pour son père Mariano, a toujours été très grande.
Et la première – excellente – surprise, de cette rencontre fut de découvrir que Luca Rubinacci est en réalité, et au delà des apparences (encore une fois bien trompeuses), un jeune homme tout à fait charmant, attentionné et éminemment sympathique.
Un jeune homme qui sait indéniablement faire montre d’une belle élégance de comportement et même d’une honnêteté presque désarmante lorsqu’il nous explique, par exemple (et avec le sourire), que sa tentative de créer une collection de prêt-à-porter sous son nom avec et pour Harrod’s à Londres fut loin d’être la meilleure expérience de sa vie…
Pour la petite histoire, c’est 2010 que la grande enseigne Londonienne, comme toujours à la recherche de nouvelles idées propres à attirer la clientèle, alors en plein essor, des jeunes hommes en quête d’élégance et de style, propose au jeune Luca de lancer une collection de prêt-à-porter baptisée « Luca’s Wardrobe ». Cette collection, composée de pièces chics et casual, de belles matières, de couleurs vives et de motifs audacieux est mise en vente dans les rayons d’Harrod’s, l’institution de l’élégance classique à Londres. Et contre toute attente, Luca nous explique sans prendre de gants (si j’ose dire), que les premières semaines sont un échec cuisant : pas une seule vente !
C’est alors qu’il décide de prendre le cerf par les bois et d’aller lui-même sur place pour tenter de comprendre pourquoi ses jolies vestes en cachemire non doublées et ses jolis pantalons en lin ne déchainent pas, doux euphémisme, les passions outre-Manche.
En réalité, nous connaissons bien, chez PG, ce type de problème souvent rencontré par les maisons de qualité dans les grands magasins : un vrai vêtement de qualité, surtout lorsqu’il est vendu à un certain tarif, a besoin d’être promu, montré et vraiment expliqué par un personnel (très) qualifié et surtout (un minimum) éduqué. Car sinon, le plus beau des costumes fabriqué dans le plus beau tissu au monde, n’a que peu de chance de trouver preneur s’il est « simplement » suspendu sur un cintre, même dans l’un des plus beaux points de vente sur la planète.
J’ai souvent eu l’occasion de débattre de ce problème avec certains grands professionnels comme Pierre Degand à Bruxelles, Luis Sans, le propriétaire de Santa Eulalia à Barcelone ou Marco Fari, la patron des ventes chez Fray, le chemisier de luxe de Bologne : un vêtement de qualité, surtout lorsqu’il présente des spécificités stylistiques (une épaule napolitaine, une poche poitrine « barchetta ») ou techniques (un montage main, des boutonnières milanaises, un mélange soie/cachemire), a besoin d’être EX-PLI-QUÉ car, quel que soit son prix, il ne se vendra pas tout seul.
Les seuls vêtements qui se vendent (presque) tous seuls (ou par des vendeurs qui n’y connaissent rien) ne sont généralement pas de si bonne qualité que cela et sont toujours affublés d’une étiquette et d’un nom qui représentent 85% de leur prix (Hugo B., Giorgio A.), mais c’est une autre histoire que nous n’aborderons pas dans cet article.
En 2010, Luca fonce donc à Londres et commence lui-même, dans les rayons de Harrod’s à expliquer ce qu’est une épaule napolitaine, à faire toucher la main exceptionnelle d’un cachemire et à montrer comment une belle cravate sept plis change tout dans une tenue. Et, bien sûr, l’intégralité de la collection se vend alors en quelques semaines…
Evidemment Harrod’s, satisfait de l’expérience, demande à Luca de continuer et, évidemment, celui-ci refuse car c’est décidé : l’on vendra désormais du Rubinacci chez Rubinacci par Rubinacci ou alors seulement quelques pièces et accessoires dans des points de vente de luxe triés sur le volet et tenus par des experts de la chose sartoriale. Plus question de jeter la qualité maison en pâture à des vendeurs multi-marques de grands magasins qui préfèrent encore nettement les ventes faciles de marques « pré-vendues » que celles où il faut faire preuve de pédagogie et d’engagement avec le client.
Le « nouveau » point de vente Rubinacci à Milan, dont l’accès par la Via Gesù est désormais l’accès principal, est un modèle du genre en termes de design, de présentation des produits et d’ambiance générale et assurément l’un des magasins les plus beaux et, surtout, les plus agréables qu’il m’ait été donné de visiter.
Un endroit où l’expérience-client (comme il est de coutume de dire aujourd’hui) est vraiment excellente à tous égards, et ce, que vous ressortiez les mains vides ou les bras chargés de sacs estampillés Rubinacci.
Dans un registre se situant aux antipodes des boutiques « modernes », « épurées » (comme les architectes d’intérieur adorent dire aujourd’hui) et au final sans âme (comme, par exemple, Kilgour ou Hardy Amies à Londres), la boutique de Luca Rubinacci est élégante, accueillante, chaleureuse, luxueuse certes, voire, à certains égards, opulente, mais toujours avec bon goût et juste ce qu’il faut de retenue.
J’ai personnellement beaucoup apprécié certaines très bonnes idées imaginées et orchestrées par le maître des lieux (très impliqué, jusqu’à l’obsession, dans les moindres détails de son lieu) comme le fait de présenter des mannequins habillés de pied en cap mais en hauteur (comme vous pouvez le constater ci-dessous). Cette idée consistant à présenter des idées de tenues en hauteur puis à trouver chaque élément de ces dernières à portée directe de main est absolument brillante et confère au lieu une « âme » vraiment spéciale.
Deuxième point fort de l’endroit : la sélection des produits en prêt-à-porter.
Ici on ne vend rien de « normal » : pas l’ombre d’un costume gris ni la moindre trace d’un costume bleu en laine.
En prêt-à-porter, Rubinacci ne fait que dans la veste sport ou le manteau en cachemire, que dans la veste de campagne ou le pantalon en tweed. Bref que dans le vêtement classique mais à forte personnalité (ou, pour le dire autrement, à forte valeur ajoutée sartoriale). Pour trouver votre costume business ici, il vous faudra passer au Bespoke ou aller voir ailleurs dans la même rue où les vendeurs de costumes « normaux » sont légion.
Et le plus étonnant dans tout cela c’est que, toutes proportions gardées évidemment, les prix restent maîtrisés (pantalons en cachemire à 350 euros, vestes à 800 euros) pour un prêt-à-porter proposant un tel niveau de qualité et, surtout, un tel « flair ». Dans ce registre la gamme maison de « Belgian loafers » est vraiment de toute beauté (voir ci-dessous).
Evidemment, qui dit Rubinacci dit « bespoke tailoring » du plus haut niveau avec, à Milan comme à Naples, un atelier directement adossé à la boutique mais aussi, et peut-être surtout, un salon bespoke absolument spectaculaire composé de trois espaces que tout amateur de bespoke et de tissus vintage se devra de visiter un jour:
– un premier salon dans lequel les tissus sont présentés avec, toujours en hauteur, sept modèles de costumes en grande mesure emblématiques du style maison.
Comme je l’ai fréquemment expliqué dans ces colonnes, l’inspiration est souvent ce que les tailleurs en grande mesure oublient d’offrir à leur clients car ils pensent, à tort, qu’un client bespoke sait ce qu’il veut, ce qui absolument faux, surtout pour les gentlemen faisant leurs premiers pas dans ce monde qui peut, paradoxalement, vite devenir complexe et intimidant.
Donc chez Rubinacci (tout comme chez Cifonelli à Paris), des modèles sont exposés en permanence afin de donner aux clients une base de discussion pour démarrer chaque projet et aider ces derniers à mieux exprimer leurs souhaits. Evidemment, comme dans tout salon bespoke de haut niveau, tout est ensuite possible, tant en terme de coupe que de patronage.
– Un deuxième salon, qui est en réalité un véritable « Gentlemen’s Club », avec des canapés Chesterfield, une très grande fitting room, mais aussi une collection de beaux livres (dont, désormais, « The Parisian Gentleman » !), une sélection de bons cigares et d’alcool fins… Un endroit feutré, complètement privatif et intégralement pensé pour des séances de fitting agréables et libres de tout stress. Indéniablement la preuve du soin que l’on apporte, chez Rubinacci, à chaque client et un modèle de service total du plus haut niveau.
– Et enfin, un troisième endroit, en réalité une cave en sous-sol, réservé aux connaisseurs éclairés et aux vrais amateurs de tissus vintage, dans lequel sont stockés des merveilles de tissus vintage tous antérieurs aux années 60 : des tweeds épais, des cachemires soyeux, des mélanges soie et cachemire avec des motifs complètement dingues…
Pour la petite histoire, Mariano Rubinacci a conservé ce véritable trésor depuis des décennies contre vents et marées, et surtout contre l’avis de son épouse ! Cette dernière a en effet souvent demandé à son mari de se débarrasser de ce stock aussi encombrant qu’inutile, à une époque où le tissu ancien n’intéressait vraiment personne et se vendait souvent au kilo…
Aujourd’hui, Rubinacci est sans aucun doute à la tête de l’un des plus beaux stocks de tissus vintage masculins sur la planète, pour le plus grand bonheur de certains de ses clients, grands amateurs de ce type de produits aujourd’hui quasiment introuvables.
Rubinacci Milan est donc un très bel endroit proposant des produits d’exception, animé, pour ne pas dire « habité », par un maître des lieux très impliqué et intégralement au service de ses clients, mais aussi, et c’est important de le noter, des « simples » visiteurs.
Un temple du bon goût à visiter absolument lors de votre prochain passage à Milan.
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Maison Rubinacci, Via del Gesù, 1. MILANO. Tél : 02 7600 1564
Site web officiel : Rubinacci