En période de canicule, écrire sur le parfum est une gageure : quand il fait 40 degrés dehors, bien des hommes renoncent en effet à porter leur parfum favori. C’est même souvent une question de survie : quand le climat devient étouffant, il n’est pas forcément souhaitable de surcharger l’air ambiant à grands renfort de cologne qui fait éternuer. Il en va de sa capacité respiratoire.
Fort heureusement, dans l’offre pléthorique de l’industrie du parfum, il existe de nombreuses options pour l’irréductible qui souhaite rester parfumé, même en plein cagnard.
Voici donc, extraite de mon expérience personnelle, une petite liste de quatre parfums particulièrement adaptés à la période estivale…
…après un petit disclaimer de circonstance : tous les parfums de cette liste sont tirés de ma collection personnelle. Ils ne seront donc pas du goût de tout le monde, et tous ne se comporteront pas forcément de la même manière sur votre peau que sur la mienne.
Comme pour tous les sujets qui occupent ces colonnes, nous vous encourageons fortement à tester vous même les produits dont nous parlons, à vous déplacer dans les boutiques et à faire quelques essais. Du bon sens en somme, à fortiori pour la parfumerie, un domaine si hautement subjectif ! N’hésitez donc pas à demander des échantillons et à porter le jus sur votre peau pendant quelques jours avant de prendre une décision.
*En cas de véritable fournaise, ou en prévision d’une journée à randonner sous un soleil de plomb, il peut être préférable de ne tout simplement pas se parfumer, ou alors vraiment pour le principe.
*Si vous avez tendance à transpirer fortement, n’hésitez pas à laisser quelques gouttes de votre parfum fétiche caresser les bords de vos revers ou mieux encore, de votre mouchoir de poche si vous en portez un. Le tissu absorbera la fragrance et le parfum sera moins susceptible de se diluer sous l’effet de la transpiration.
*Il n’existe malheureusement pas de « nombre de sprays idéal » pour appliquer la quantité juste de parfum pour toute une journée car tout dépend de votre peau, de votre tendance à transpirer ou non et de votre choix de parfum. Dans le doute, donnez tort à l’adage populaire qui voudrait que « qui [puisse] le plus [puisse] le moins ». Un spray de trop risque en effet de vous transformer en appât à moustiques ambulant. Privilégiez la discrétion à l’ostentation, surtout en cas de forte chaleur.
*Parfumez vous sous le col. Une partie du parfum sera naturellement absorbée par le tissu, et l’environnement fermé et (relativement) humide ralentira l’évaporation du parfum.
Ces précautions étant prises, commençons notre petit listing estival :
En plein coeur de l’été, même le plus acharné des amateurs de parfums de niche qui ne jure que par les notes les plus sauvages peut avoir envie d’un parfum plus… propre – d’une fragrance qui se porte comme une belle chemise blanche fraîchement lavée et repassée; quelque chose de tout simplement confortable, agréable comme une bonne douche après une nuit passée à suer dans ses draps.
Aqua Vitae Forte de chez Francis Kurkdjian entre dans cette catégorie. Sans être d’une originalité à faire tourner la tête, la dernière offrande de la maison parisienne n’en reste pas moins d’une sophistication certaine. L’ouverture hespéridée à base de bergamote, de citron et de mandarine se mêle avec les notes florales de coeur – un beau bouquet de fleur d’oranger et d’ylang-ylang, relevé d’une touche de poivre et de cardamome, sur un lit de vétiver et de copeaux de santal.
Le citron s’y fait particulièrement frais, presque acide, puis s’efface sous la douceur aérienne et légèrement épicée du bouquet floral. Une relative absence de sillage et une bonne projection dans les première heures, doublée d’une longévité très satisfaisante à fleur de peau font d’Aqua Vitae Forte un excellent parfum d’été.
Pour ceux qui cherchent un bel unisexe avec du corps et qui ne s’évaporera pas au bout d’une demi-heure, Francis Kurkdjian signe ici un bel hespéridé / floral qui remise la poudre au vestiaire pour laisser parler le côté aérien de ses ingrédients.
Un choix sûr.
++ : Sophistiqué, agréable, léger sans être trop volatile ; bonne tenue sur la durée.
– – : Peut-être un peu trop classique pour les amateurs aux goûts plus excentriques.
Le dernier né de la gamme masculine de la belle institution française, et le premier hespéridé pour homme de la maison, donne le beau rôle au yuzu – ce petit agrume japonais à l’odeur si caractéristique et au goût si typé.
Le parfum s’ouvre tout en rondeur sur le fruit éponyme, adoucit par une belle figue très aromatique et légèrement sucrée, derrière laquelle poussent un ou deux brins de basilic. Ce côté presque gourmand s’efface par la suite, tandis que la légère acidité du yuzu se dissipe et que la base boisée ressort, laissant à fleur de peau une empreinte fraîche aux vapeurs d’agrumes.
Yuzu est une fragrance d’une simplicité exemplaire, ce qui, pour un parfum d’été, est une qualité indéniable : nul besoin de surcharger sa peau de particules superflues.
Une belle offrande, propre et légère, qui détonne avec bonheur dans la gamme des masculins de la maison.
++ : Classic with a twist. Un accord yuzu / figue à croquer.
– – : Durée de vie tout juste correcte.
Voici la version Eau de Cologne d’un parfum relativement décrié à sa sortie par les plus véhéments des perfumistas, qui dénonçaient une soi-disante énième dissolution de l’âme Guerlain avec un parfum jugé trop mainstream. S’il est vrai que L’Homme Idéal est un parfum clairement conçu pour plaire au plus grand nombre, il n’en reste pas moins une addition convaincante au répertoire de la maison – nous l’avions nous même énormément apprécié à sa sortie.
A titre personnel, je trouve la plupart des critiques adressées à l’Homme Idéal un peu injustes : dans le marché sur-saturé de la parfumerie moderne, un parfum qui ne trouve pas son public ne survit pas bien longtemps. Les circonstances et les époques sont différentes de l’âge d’or de Guerlain, et l’Homme Idéal répondait à un besoin commercial et populaire crucial.
Et quoi qu’il puisse en être dit, l’Homme Idéal reste un véritable aimant à compliments et tout simplement un parfum extrêmement agréable à porter.
Cette version Eau de Cologne ne risque pas de faire changer d’avis les détracteurs du dernier né de Thierry Wasser – ceux qui l’apprécient en revanche, et ils sont nombreux, y trouveront largement leur compte.
Suffisamment différent pour justifier son existence, mais suffisamment reminiscent de l’original pour ne pas usurper son patronyme, La Cologne de l’Homme Idéal amplifie le côté frais du parfum en réduisant les notes d’amandes et de tonka et en accentuant les hespéridées de l’original – plus une petite touche de neroli pour la bonne mesure, et pour adoucir le tout.
Une belle fragrance pour l’été. Guerlain avance en terrain connu pour une Cologne à dessein destinée à séduire, mais tout à fait agréable et parfaitement maîtrisée.
++ : Conserve et complexifie l’accord gourmand de l’original, excellente durée de vie.
– – : Aurait peut-être gagné à s’éloigner un peu plus de l’original.
La plupart des parfums de cette liste, vous l’aurez remarqué, tendent à inclure des notes hespéridées (donc à base d’agrumes) de manière plus ou moins proéminente. Ceci pour de bonnes raisons : les notes de la famille tendent à être plutôt fraîches et volatiles, et donc tout à fait adaptées à la parfumerie « d’été ».
Brisons donc un peu les codes avec Fou d’Absinthe par l’Artisan Parfumeur, l’un de mes coups de coeurs du moment. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un parfum construit autour de la plante d’absinthe. Du moins, en théorie. Dans la pratique, la grande absinthe, quoique belle et bien présente, ne constitue pas le coeur aromatique de Fou d’Absinthe.
Le parfum s’ouvre sur un bouquet très vert, essentiellement constitué d’angélique et de cassis, derrière lequel la douce amertume de l’absinthe se fait timidement ressentir. A coeur, la saveur anisée de la plante se fait plus présente sur les bords, avec des faux-airs de badiane (anis étoilé), tandis que des pointes de girofles et une discrète touche de lavande un rien poivrée font leur entrée.
Après évaporation des notes de têtes, Fou d’Absinthe se repose sur une base boisée, faite de pin et de cèdre frottés au patchouli. La progression est linéaire, tout en rondeur – tous les ingrédients semblent avoir été rincés au vermouth, et le tout brille d’une magnifique cohérence.
Fou d’Absinthe est un bel exercice d’équilibriste : une chouette fougère qui marche sur un fil entre la force et l’arôme des notes les plus épicées et la relative douceur de ses notes boisées avec beaucoup d’élégance. En résulte une fragrance étonnamment aérienne, riche et aromatique sans jamais se montrer entêtante.
Un excellent choix pour toute les saisons, et un pari qui peut s’avérer payant pour qui souhaite sortir des grandes lignes de la « parfumerie d’été ».
++ : D’une rondeur exemplaire, une utilisation maîtrisée et mesurée des notes anisées. Relativement original.
– – : Perds un peu son souffle sur la durée.