N'en déplaise à nos amis de The Chap, dont le quatrième point de l'hilarant manifeste rejette tout port du jean passé l'âge du bécotage sous l'abri de bus, le jean reste un élément très intéressant du vestiaire masculin.
En sa qualité de pantalon casual / streetwear par excellence et de symbole immortel de l'Amérique stéréotypique des cowboys et des hamburgers (qui d'ailleurs viennent de Hambourg, en Allemagne), le jean n'est pas forcément reçu avec les égards qu'il mériterait dans notre petit monde.
L'immense popularité de l'objet a en effet depuis longtemps entraîné, comme trop souvent, une baisse de qualité importante au niveau de la production, doublée d'une ignorance générale sur le bon entretien d'une belle paire de denim (déformation de "De Nîmes", cocorico).
Car oui, une belle paire de jean doit être entretenue, ou plus exactement, doit être entretenue peu souvent, mais selon des règles précises.
La communauté des puristes du jean est tout aussi exigeante et quasi-dogmatique (dans le pire des cas) que les amateurs de beaux vêtements que nous sommes. Ces passionnés s'entredéchirent par ailleurs régulièrement sur des débats aussi passionnants que "quel pays produit le meilleur coton pour denim" (les USA, le Japon et le Zimbabwe arrivent souvent en tête), ce qui n'est pas forcément sans rappeler l'éternelle querelle blake vs goodyear, ou les sempiternelles discussions sur les mérites des épaules italiennes ou anglaises.
Et les similarités ne s'arrêtent pas là...
Car le jean est lui aussi victime de son succès. Et avec le succès vient la production de masse, qui entraîne souvent la création d'un gouffre entre les connaisseurs et les profanes. Le gouffre est franchissable bien sûr, mais peu de personnes sont conscientes de son existence, et surtout de l'El Dorado qui se trouve de l'autre côté, pour ceux qui se donnent les moyens d'y arriver.
Trop de gens considèrent en effet le jean comme un simple uniforme pour les jours où le costume n'est pas requis. Et si beaucoup de gens ne savent pas choisir un costume correctement, c'est aussi vrai pour le jean. De trop nombreuses marques n'ont d'ailleurs aucun scrupule à capitaliser sur l'ignorance généralisée pour vendre à des prix ridicules des jeans extrêmement vulgaires à la durée de vie risible.
Les puristes, eux, se tourneront plus volontiers vers le denim brut, ou raw denim – aussi appelé "dry denim" - soit une toile denim n'ayant pas été lavée ou traitée de quelque manière que ce soit après avoir été teintée. Et au delà de la simple qualité de fabrication, le denim brut est très apprécié des connaisseurs pour des raisons techniques qui ne sont pas, au final, sans rappeler les obsessions de certains amateurs de costumes haut de gamme. Sans aller jusqu'à parler de démarche similaire, quelques ressemblances sont cependant amusantes à constater :
Contrairement au costume, dont certains tissus peuvent se "patiner" (comme le Tweed) mais dont l'aspect général reste globalement le même au fil des ports, la toile denim est un tissu qui s'embellit avec le temps.
Le denim brut est, comme son nom l'indique, un tissu brut, non-traité et non lavé, qui s'adapte à votre morphologie au rythme des ports ; d'où l'importance de choisir un jean parfaitement ajusté, voir légèrement trop serré lors de l'achat. Si les deux premières semaines seront douloureuses (particulièrement à l'entrejambes), le tissu va progressivement se détendre pour s'adapter à votre corps. De plus, les plis provoqués par le port vont marquer le tissu qui va se décolorer par endroits sous l'effet de la sueur et de la friction.
Laver son jean trop tôt et trop souvent causera ainsi une dégradation prématurée des tissus, à opposer à la détente naturelle causée par un port régulier, ainsi qu'une décoloration précoce et inégale, très inesthétique. En outre le tissu y perdra en rigidité, et donc en ligne et en allure.
Avant de rejeter l'idée, pour des raisons d'hygiène, de ne laver son jean qu'une fois tous les 3 à 4 mois, considérez ceci : une étude à montré qu'un jean porté tous les jours pendant 15 mois sans lavage présentait un taux de bactéries similaire à celui observé après une dizaine de jours de port après un lavage agressif à la machine.
Bien entendu, le cas est extrême, mais révélateur. Pour peu que le jean soit aéré régulièrement (toutes les nuits par exemple) et que le porteur fasse preuve d'une bonne hygiène corporelle, ni odeur désagréable, ni bactéries dangereuses pour la santé ne s'y développeront. C'est un peu le même principe que pour une paire de chaussures.
Par ailleurs, de nombreuses techniques existent pour laver une paire de jean brut sans crainte d'abîmer le tissu. La plus populaire consiste à remplir une baignoire d'eau tiède, à y verser un peu de lessive douce sans détergent, et à y immerger son jean à l'envers, à plat, en plaçant des objets lourds dessus pour s'assurer qu'il ne remonte pas à la surface. Après 45 minutes à une heure de ce traitement, le jean est rincé et mis à sécher, préférablement à l'air libre et si possible au soleil.
Le but de cet article n'est pas de vous enjoindre à laisser tomber votre pantalon de flanelle ou votre chino en faveur du jean, loin de là. Il s'agit de rendre justice à un élément du vestiaire masculin trop souvent galvaudé. Bien porté avec une belle veste sport, une paire de saddle shoes, de tanker boots en cuir cordovan ou de loafers en été, le jean peut se poser en alternative attrayante au pantalon dépareillé classique.
D'ailleurs, les Italiens semblent en être actuellement particulièrement friands. Après tout, l'idée de porter un vêtement requérant de la patience et des connaissances pour obtenir un aspect parfaitement et volontairement négligé ne serait-elle pas, finalement, l'une des meilleures incarnations de la fameuse sprezzatura ?