Gentlemen,
une fois n'est pas coutume, nous ouvrons ce jour nos colonnes à nos (très) jeunes camarades du blog "Bonne Gueule" (http://www.bonnegueule.fr/) pour un excellent article pédagogique consacré à la chemise sur mesure rédigé par Benoit.
Ceux d'entre vous qui nous lisent régulièrement savent qu'il peut nous arriver parfois d'avoir la dent dure avec l'avalanche de blogs dits "d'élégance masculine", pour la plupart médiocres, qui déferle actuellement sur la toile.
Bonne Gueule, à l'inverse, fait partie des blogs que nous apprécions chez PG pour la fraicheur de l'écriture, le sérieux des reportages et, globalement, la qualité et la régularité des contenus. Alors évidemment, ce site éminemment sympathique s'adresse à un lectorat beaucoup plus jeune, plus versatile dans ses goûts vestimentaires, plus perméable aux "tendances" (quel mot affreux ! je ne m'y ferai jamais...) et sans doute plus contraint en termes de budget que celui de PG.
Il n'empêche que BG (vous noterez la ressemblance presque troublante des acronymes) peut s'avérer, de temps à autre, une bonne ressource, même pour les plus aguerris d'entre nous.
Seul bémol à ce concert de louanges : le goût visiblement immodéré de l'équipe maison pour le... Ricard. Mais c'est un autre débat.
par Benoit pour bonnegueule.fr
Pendant une dizaine de jours en février, il s’est tenu une exposition assez confidentielle mais passionnante dans une nouvelle galerie d’art à Paris, Made in town.
L’idée était très simple et très intéressante : amener une chemise Zara à rayures blanches et bleues (LA chemise générique) à une trentaine de tailleurs spécialisés dans la chemise (et uniquement dans la chemise sur-mesure) à Rome et demander de recopier ladite chemise Zara, mais avec tout leur savoir-faire.
Précision importante : le tissu de chaque chemise vient de la sélection (et suggestion) du tailleur, qui est censé se rapprocher visuellement le plus possible de la chemise Zara. On a donc pour chaque chemise, un tissu à rayures bleues et blanches, mais différent à chaque fois dans son toucher, la taille des rayures, le bleu des rayures, etc.
30 chemises bleues et blanches, mais toutes différentes !
Au final, on a une trentaine de chemises à rayures, mais chacune est unique ! J’étais franchement émerveillé de pouvoir toucher et voir autant de chemises si luxueuses, dont certaines provenant des plus belles maisons au monde (je pense notamment à Borelli). Il était fascinant de voir que chaque grand chemisier romain a ses propres détails de confection, révélateurs d’un savoir-faire unique. Ce qui était également intéressant, c’est qu’il y avait toutes les gammes de prix : les prix s’étalaient de 80 € à 500 €, ce qui permet d’avoir une vraie variété dans les confections.
Voici donc en photos ces fameux détails qui témoignent d’une chemise de qualité. N’espérez pas trouver les mêmes détails en prêt-à-porter, ils y sont pour la plupart très peu présents…
Note : les explications en italique désignent l’image qui se situe au-dessus.
Rien que dans la manière de coudre les boutons, il y a plusieurs écoles.
Notez ici la qualité du nacre, uniforme et épais.
Un bouton cousu façon « zampa di gallina » ou aussi de la manière « fleur de Lys ». Cela atteste qu’il a été cousu à la main. Vous ne connaîtrez jamais de bouton qui se détache tout seul avec ce type de couture. À côté du bouton, on voit que la boutonnière comporte un fil épais et dense, qui évite l’effilochage caractéristique des mauvaises boutonnières.
Une manière plus classique de coudre le bouton, mais la qualité de la nacre reste impressionnante, car même sur du haut de gamme, on trouve très rarement des boutons en nacre aussi épais (et donc résistants).
Sur cette chemise, il y avait ce curieux détail de tailleur sous forme de renfort à côté du dernier bouton. Ne me demandez pas ce que c’est et à quoi ça sert, je n’ai pas la réponse…
Dans le même genre de détails rarissimes, il y a le fameux travetto : c’est un renforcement sous forme de point de crochet, fait à la main, au niveau de la patte capucin (mais si, vous la connaissez : c’est cette patte qui part du poignet et qui se finit généralement au milieu de l’avant bras). Concernant le travetto (=le renforcement de la patte capucin), ne le cherchez pas en prêt-à-porter, il y est totalement absent, même dans le haut de gamme. Maxim de SoDandy en parle également dans un de ses articles.
Le fameux travetto ! Un détail qui a beaucoup de charme.
Deux montages d’épaules relativement « classiques », qui ne sont pas dépaysants par rapport à ce qu’on peut trouver dans du PAP haut de gamme. Les deux lignes de coutures sont ici bien visibles. Montons en gamme…
Une épaule haut de gamme. Les points de couture sur la ligne horizontale du haut sont très resserrés, signe de qualité et de maîtrise technique. De même, ces points de couture à peine visibles espacés et isolés entre eux sur la ligne verticale (celle qui fait le tour du bras) sont caractéristiques d’un montage à la main.
Le top du top : quasiment aucune couture visible, des rayures alignées entre l’épaule et la clavicule et des points de couture hyper denses et presque invisibles. Mais on peut faire encore mieux…
Le Graal : plus aucune couture visible ! Incroyable mais vrai ! Un vrai travail d’orfèvre. Voici ce que l’on voit si on regarde le montage à l’intérieur :
On voit nettement l’emmanchure décalée ici (l’endroit où les quatre coutures se rejoignent). Comparez cette photo avec les chemises que vous possédez ;) )
Une autre photo de l’intérieur d’une épaule, où l’on voit des finitions très propres, et le fameux montage à la main visible en la couture de gauche.
Passons au col, où un détail caractéristique d’une chemise en grande mesure est visible :
On remarque que le col est très épais. Sur toutes les chemises, le col est d’une rigidité que je n’avais jamais sentie avant. C’est du béton armé ! Ce col évasé est classique du style italien.
Aucun tailleur n’a voulu faire de col plus petit, car ils trouvaient que cela faisait trop féminin.
Vous voyez ce type de rainure sur la couture du col ? C’est typique d’un grand chemisier italien !
Mais il existe encore plus haut de gamme :
C’est sûrement la chemise la mieux finie que j’ai vu depuis que j’ai commencé à m’intéresser à la mode masculine. Les coutures du col sont hallucinantes : elles sont si fines qu’il est franchement difficile d’y distinguer les points !
Impossible de faire plus raffiné…
À propos des coutures, si les chemises sont toutes en coutures anglaises, il est fascinant de voir les différentes manière de faire :
Une vraie couture anglaise, avec la couture visible incroyablement fine. Je n’ai jamais vu autant de points au centimètre. Cela ne peut être fait qu’à la main !
Encore une couture anglaise impressionnante, avec cette fois-ci une couture quasiment invisible. Notez également les points de coutures hyper resserrés sur le bord de la chemise.
Parmi les détails incontournables d’une chemise haut de gamme, il y a la fameuse hirondelle de renfort, déclinée ici de multiples façons.
Un renfort très élégant sous forme de point de crochet fait à la main.
Une hirondelle de renfort classique.
Un autre type d’hirondelle de renfort, que je ne connaissais pas.
C’est vraiment une excellente idée d’exposition et on se prend à imaginer d’étendre le concept, avec par exemple des marques de jeans prestigieuses qui feraient le « même » jean à leur manière, ou des tailleurs qui démontreraient leur savoir-faire sur une veste de costume. Cela pourrait être véritablement passionnant !
Quelques mots également sur cette nouvelle galerie Made in Town (26 rue du Vertbois à Paris) : le but est de mettre en avant des savoir-faire artisanaux dans plusieurs domaines tels que la mode, le design ou la gastronomie. Je ne suis pas la personne la plus érudite en matière de galerie d’art, mais je salue une telle initiative ! Merci à Maxim toujours humble et pédagogue dans ses explications.
Une broderie d’une grande finesse ! Désolé pour la qualité de la photo…