« Si vous voulez, je serai tout de viande déchaîné — ou bien changeant de ton comme le ciel, si ça vous chante, je serai tendre, irréprochablement. Non plus un homme, mais un nuage en pantalon ! »
Vladimir Maïakovski (« Le nuage en pantalon », 1915 ; trad. Charles Dobzynski)
L’image surréaliste du nuage en pantalon de Maïakovski, c’est le contraste de la légèreté et de la substance, du zéphyr insaisissable et de la tangible tenue de bretelles verticales. L’effacement aérien du poète se réduit à l’ultime élément qui le rende encore humain : la nécessité de se couvrir. Tel est le rôle ingrat du pantalon, non pas de s’exhiber mais de cacher.Le pantalon, même bien repassé, a mauvaise presse.
Loin du visage et près du fondement, il souffre symboliquement d’une réputation où il côtoie un entrejambe honteux qui ne connaît plus les glorieuses braguettes de la Renaissance, excroissances culottières ostensibles, accessoires disparus mais jadis centres gravitationnels d’une élégance à la virilité démesurée.
On veut que le pantalon soit solide et ne craque pas sous la pression : il est le lieu stratégique du ridicule plutôt que de l’élégance. Ne parle-t-on pas de pantalonnade pour évoquer un burlesque sans grâce ? Autrefois, quand l’école avait des bancs, on y usait ses fonds de pantalons, suggérant ainsi un destin d’érosion disgracieuse ne prédisposant guère à sa célébration.
Quant à celui dont il est la spécialité, il se nomme le culottier, ce qui est osé, tout de même.Le pantalon est donc une pièce aussi essentielle que négligée. Dans le costume, le pantalon se fond avec le veston : l’effet d’uniformité donne effectivement de la prestance. Mais spezzato et exubérance des vestons obligent, on redécouvre qu’une autre forme d’élégance nécessite des accords subtils avec « le bas ».
Avec son inventivité coutumière, notre Julien Scavini national a développé toute une ligne de pantalons extrêmement bien pensée pour répondre à la pénurie stylistique en matière pantalonnière, totalement négligée par le prêt-à-porter.
Tout d’abord, il propose quatre coupes différentes : coupe ajustée, coupe droite classique, coupe à une pince et coupe à deux pinces. Ce sont autant des choix liés à la morphologie de chacun qu’à des considérations de style. Cela montre une rare conscience du répertoire technique et stylistique qui se joue dans un pantalon. Cela mérite en soi le détour.
Mais là où Julien Scavini innove de manière radicale, c’est en mettant en avant une gamme de matières en accord avec cette ambition esthétique : tweed, flanelle, chino, laine, whipcord (de chez Brisbane Moss), moleskine, velours.
Et, poussant plus loin encore le détail du lien texture-motif, il présente des tissus d’une grande originalité : tweed finement chiné façon Donegal (saxony de la filature espagnole Gorina, spécialiste des tissus lourds), carreaux fenêtres, pied de poule…
Et puis, on est charmé par les couleurs. Loin de se limiter à deux nuances de gris moyen, il y a dans cette gamme du grège, du bleu, du gris clair, un tweed orangé et même un tweed à chevrons rouge !
Et enfin, bien sûr, il y a les finitions : pattes de serrage latérales, coutures des poches renforcées, gansage de la couture intérieure, ardillon, boutons pour bretelles…
J’ai personnellement essayé le pantalon flanelle en couleur grège, c’est-à-dire une sorte de marron glacé proche du gris (c’est la couleur naturelle de la soie non colorée) qui permet des combinaisons avec de nombreuses nuances, davantage dans l’esprit d’une continuité fondue que dans le contraste.
C’est une couleur superbe, très rarement proposée dans le prêt-à-porter. La tenue du tissu, la coupe légèrement "frittée" au-dessous du genou (mais avec de la place au niveau des cuisses) en font un article à la fois solide, élégant et polyvalent. Il faut par ailleurs noter la précision des retouches et la qualité du service en boutique.
Quant au tweed bleu, avec des mouchetures orangées, c’est un tissu lourd mais qui paraît léger quand on le porte. La coupe est identique et le confort également impeccable. Ce sont deux pantalons d’hiver, qui permettent des accords nombreux et deviennent facilement des choix presque automatiques quand on hésite sur sa tenue.
Sont annoncés pour l’été des mélanges laine vierge-chanvre à carreaux, des chinos en coton cashmere ultralégers, du lin irlandais, des solaros (coton et laine), des seersuckers (unis en pantalon et à rayures en bermuda) et diverses surprises qui ne manqueront pas d’éveiller la curiosité du gentleman lassé des matières trop banales…
On connaissait la demi-mesure précise de Julien Scavini dont le parcours et la personnalité font honneur à la tradition du chic français. On découvre maintenant son dynamisme et son invention dans le domaine du prêt-à-porter « spécialisé ». Il se distingue ainsi avec une offre très fine, où la précision technique comporte un souci esthétique marqué.
Le choix stylistique ouvre le gentleman à plus d’audace dans ses accords — et plus de reconnaissance pour le pantalon mal-aimé dont la coupe autant que la matière et la couleur sont si essentielles à une tenue réussie.
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Tarifs : à partir de 110 euros selon le tissu.
Site web : Pantalons Scavini