Un solaro vous manque et tout est dépeuplé.
Il fallait donc combler cette lacune.
Car il est dit dans le Talmud qu’il nous sera demandé des comptes sur les plaisirs qui nous sont permis mais dont nous nous serons privés. Soucieux du jour du jugement dernier, j’ai donc préféré ne pas avoir à m’expliquer devant le Tailleur Universel de ce manque vestimentaire.
Cet hypocrite prétexte métaphysique étant posé, il est un répertoire de tenues qu’on se considérerait comme coupable de ne pas connaître. On appelle cela des classiques.De même qu’il ne saurait véritablement apprécier la vie sans connaître Kenny Barron, le Gevrey-Chambertin et Romain Gary, l’honnête homme possède donc une cravate bleue, une veste en tweed et un pantalon en flanelle gris. Et puis, quand l’honnête homme se rend compte que l’humanité travaillant le textile depuis des millénaires il serait peut-être temps pour lui d'étendre ses horizons au-delà des évidences, il poursuit sa quête et regarde la tradition droit dans le blanc des yeux. La tradition lui répond et lui susurre simplement cette certitude : « Un solaro, c’est beau. »
C’est vrai. Le solaro appartient à la grande tradition sartoriale britannique. Selon la légende, la trame rouge qui parcourt le tissu renvoie les rayons du soleil. C’est donc une armure magique.
Cette armure on la doit à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, soucieuse de trouver un tissu adapté aux soldats de l’Empire exposés au soleil. C’est le médecin Louis Westenra Sambon (spécialiste des maladies tropicales et de divers parasites) qui en élabora le principe vers 1907 : kaki à l’extérieur, mais avec une couche de protection rouge à l’intérieur censée repousser les rayons ultra-violets. Le drapier Smith Woollens sera le premier à le produire et les tailleurs Messers, Ellis and Johns les premiers à l’utiliser.
À l’image de bon nombre d’éléments de la garde-robe classique, le solaro est une invention historiquement britannique mais aujourd’hui associée à l’Italie — Gianni Agnelli en portait volontiers (voir ci-dessus). De fait, son inventeur, Louis Westenra Sambon, était italo-britannique. Quant au drapier anglais Standeven qui a fourni le tissu utilisé par Julien Scavini, il le fait, semble-t-il, produire désormais en Italie…
Le principe de la trame rouge protégeant miraculeusement du soleil est assez intriguant : j’attends de le vérifier mais, d’ici là, les lecteurs dotés de connaissances scientifiques précises pourront peut-être nous expliquer ce miracle à l’albédo douteux (un article d’histoire de la médecine fait le point ici).
En effet, le poids du tissu (320 grammes) est peu indiqué pour un costume réellement estival au sens napolitain du terme, même si, par sa couleur, il évoque effectivement un certain ensoleillement. Il nous semble en réalité plus adapté à la mi-saison, printanière ou automnale pour profiter du caractère lumineux du tissu. Ensuite, tout dépend du poids choisi et de la construction (avec ou sans doublure, par exemple).
En tout cas, c’est un tissu particulier avec sa trame souvent tissée en herringbone — ce qui justifie d’en confier la réalisation à un artisan chevronné. J’ai pour ma part choisi un uni (il existe aussi des chevrons tissés en lignes contrastées). Cette toile de serge beige kaki avec une nuance de brique possède des reflets changeants et assez impressionnants sans être ostentatoires. C’est une teinte à la fois peu courante et très adaptable puisque le costume supporte les nuances de vert, rouge, marron, etc.
Julien Scavini est tailleur. Il sait ce qu’il fait quand il prend des mesures et quand il conseille un client sur tous les aspects du costume et de la morphologie. Son offre en sur-mesure est d’une grande honnêteté au sens le plus noble du terme : c’est une offre qui ne cache rien et qui tient ses promesses : un fit précis, une réalisation technique très sûre, un prix abordable et ce petit quelque chose en plus qui rend le vêtement intéressant. La boutonnière milanaise est par exemple une discrète coquetterie dont on aurait tort de ne pas profiter.
Les options sont nombreuses (épaules, revers, crans…), comme les tissus, ce qui permet de composer vraiment une tenue en fonction de ses goûts. Quant à la qualité de la façon, l’entoilage intégral assure une vraie durabilité du vêtement.
Par ailleurs, les costumes sont finis sur place pour être certain que la longueur des manches et du pantalon soit impeccable — ce qui fut le cas. Après essayage, il a suffi de petites retouches pour arriver au meilleur fit imaginable étant donné la morphologie fantaisiste que j’ai apportée en guise de défi sartorial.
Julien Scavini est l’une des adresses les plus sûres de Paris — une « maison de confiance », comme on disait autrefois — mais c’est aussi une marque qui possède une véritable offre stylistique. Nous avions déjà évoqué l’originalité de ses magnifiques pantalons en prêt-à-porter : il récidive cet été et ajoute une belle gamme de bermudas « façon tailleur ».
Il est bien connu que le sur-mesure présente des inconvénients (moindre précision que la grande mesure) et de nombreux avantages (choix des tissus, choix de la conception, prise en compte de la morphologie individuelle). Mais, en définitive, la qualité dépend toujours de l’esprit de la maison, de son investissement et de son exigence.
Julien Scavini apporte un regard tailleur véritable et, plus encore, la vision d’un homme de goût.
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Scavini Tailleur : 50 Boulevard de la Tour-Maubourg, 75007 PARIS
Site web : Scavini.fr