Nous nous retrouvons dans les rituels.
Il y a les rituels collectifs bien sûr : nombre de pratiques sociales nous montrent l’importance d’avoir des gestes communs, auxquels nous accordons un temps spécial. C’est bien par ces moments à part que nous renouvelons les liens que nous entretenons avec d’autres personnes : conjoint, famille, proches, compatriotes, membres de notre communauté religieuse.
Mais il y a aussi des rituels privés : je parle de ceux que nous nous réservons personnellement. Pour certains, ce sera le café matinal avec son journal, ou la fréquentation d’un restaurant favori ; pour d’autres, une activité passion, un moment planifié bien à l’avance et maintenu quoi qu’il arrive.
Les marques usent bien volontiers du second point pour nous faire croire que nous avons absolument besoin de tel ou tel produit : ce sont les innombrables injonctions commerciales qui vous invitent à vous couper du quotidien pour vous reconnecter (comme je déteste ce mot !) avec vous-même, en achetant tel ou tel gadget.
Est-ce que nos rythmes de vie sont de plus en plus effrénés ? Sans doute. Ou plutôt, même si nous ne nous activons pas forcément plus que nos ancêtres, il est probable que nous soyons en revanche davantage sollicités, et de manière intempestive. L’homme moderne n’est pas plus débordé, mais il est convoqué, appelé, demandé, et ce, en permanence.
Vous pourrez me dire que j’enfonce des portes ouvertes : l’idée que les téléphones et les écrans en général ont changé notre quotidien – et qu’une « économie de l’attention » a vu le jour – n’est pas de moi. Mais j’espère apporter ma contribution à ce débat en rappelant que le monde sartorial comporte de beaux rituels, et prendrai pour ce faire l’exemple du cirage et de l’entretien des souliers : ici, pas besoin de gadgets inventés six mois auparavant et soudainement devenus vitaux. Et pour traiter cette question, j’ai sollicité l’avis et l’expérience de la Maison Saphir.
Quitte à parler de permanence dans le temps et de beaux gestes, quoi de plus logique que d’aller poser quelques questions à cette institution du monde bottier ? Deux éléments en particulier m’ont donné envie de m’adresser à Saphir spécifiquement : d’abord, le rayonnement de la marque, ensuite son assise historique. En effet, cette Maison familiale et indépendante est aujourd'hui le leader mondial du marché de l’entretien du cuir - et cela, elle le doit, depuis sa création il y a plus d’un siècle, à ses innovations successives ainsi qu’à l’excellence de son produit. Mais Marc Moura, président du groupe ALMA F.R.C, en parle mieux que moi.
PG : en 2023, l’entreprise Saphir est-elle différente de ce qu’elle était à ses origines ?
L’entretien des souliers relève d'un héritage ancestral où les codes sont historiques. Depuis 1920, Saphir marie le meilleur de ce que la nature peut offrir en sélectionnant avec grand soin des matières premières végétales, animales et minérales exceptionnelles. Nous mettons l’accent sur la qualité des ingrédients - valeur fondamentale pour nous, que la recherche et l’innovation perfectionnent chaque jour. Nous utilisons plus de trente cires et huiles ainsi qu’une grande variété de produits naturels, graines de Jojoba, noix de karité, huile d’avocat et d’abricot… Ces ingrédients sont soigneusement sélectionnés et issus, lorsque cela est possible, de l’agriculture raisonnée et du commerce équitable. Nous n’utilisons aucune résine, silicone ou composants de synthèse dans la formulation des cirages, et Saphir est d'ailleurs labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant.
Derrière cet héritage, Saphir se distingue aussi par son souhait profond de toujours moderniser ses produits et son usine de production, pour rester à la pointe de son marché. Nous avons construit un nouveau centre logistique en 2018 afin d’assurer un service plus rapide et performant : c'est dans le Sud-Ouest de la France, au sein de cette usine moderne de 13 500 m2, que Saphir Médaille d’Or conçoit et fabrique aujourd’hui tous ses produits iconiques. Ce mouvement de modernisation va également avec une évolution des mentalités, du côté du consommateur : les consciences changent, et de plus en plus de gens s'intéressent à l'entretien, la préservation et la rénovation du cuir. C'est ici que nous pouvons faire valoir notre expertise et ce savoir-faire français.
PG : notre attachement à votre Maison est notamment lié à la dimension familiale de votre histoire. Pourquoi et comment perpétuer l’héritage qui est le vôtre ?
Tout a commencé dans un laboratoire à Faverges, en Haute-Savoie, où Saphir créa une formule unique à partir d’ingrédients sélectionnés avec soin. Mise au point en collaboration avec les meilleurs artisans du cuir, cette formule, déjà en avance sur son temps, rencontre immédiatement un vif succès, notamment grâce à ses capacités à préserver et à magnifier le cuir. En 1925, Saphir reçoit la médaille d’or lors de l’Exposition Universelle de Paris. Cette récompense assurera la réputation de l’entreprise. En 1979, la reprise de la Maison Saphir par Alexandre Moura, deuxième génération d’entrepreneur des produits d’entretien, insuffle un nouveau départ : il transforme Saphir Médaille d’Or en entreprise moderne et internationale.
Depuis 2004, Marc Moura, fils d’Alexandre, est président de la Maison Saphir, qui appartient désormais au groupe ALMA F.R.C. Cette entité a été créée avec son père, afin d’assurer la transmission familiale du groupe et de regrouper de nombreuses marques internationales liées à l’univers du cuir et des accessoires pour chaussures.
Comme vous le voyez, chaque génération apporte par son expérience et son regard spécifique, de nouveaux talents, qui enrichissent le savoir-faire de la Maison et sa notoriété. Aujourd’hui la relève est assurée par Katia et Sophia, les arrières-petites filles du fondateur du groupe familial, Lucien Moura.
PG : quelles sont les valeurs que vous attachez au rituel de l’entretien des souliers ?
Pour nous, c’est d’abord le raffinement qui est au cœur de cette démarche. Le cuir, en tant que matériau noble, mérite un traitement d'exception. Opter pour des produits de qualité représente un hommage au caractère particulier du cuir et souligne un engagement envers l'excellence. Saphir Médaille d’Or met un point d’honneur à respecter le travail du bottier et le temps consacré à la confection des souliers. Nos produits mettent en valeur ces pièces et leur permettent de vivre plus longtemps.
L'élégance se mesure également à la qualité et à l'entretien des souliers. Une paire de chaussures soigneusement entretenue est le signe d'une personne attentive aux détails, consciente de l'importance des accessoires dans la construction de son image. Les souliers, véritables ambassadeurs de l'élégance, portent en eux l'histoire de leur propriétaire et témoignent de son exigence.
Par ailleurs, le souci de l'environnement représente un aspect essentiel de notre travail. Nous vivons une époque où la mode éthique et responsable commence à prendre le pas sur la société de consommation. Le choix de produits durables s'inscrit dans cette vision responsable. A titre d’exemple, on peut mentionner le lien entre la matière vivante qu'est le cuir et la cire d'abeille utilisée dans les produits d'entretien. Ce lien va au-delà de l'aspect purement esthétique : il s'agit d'une connivence entre le consommateur et son accessoire, entre le toucher du cuir et la délicatesse de la cire d'abeille.
PG : aujourd’hui, quels sont les grands profils que l’on distingue parmi vos clients internationaux et français ?
Saphir Médaille d’Or s’adresse historiquement aux amoureux du cuir - que ce soit les célèbres bottiers ou les particuliers. Introuvable en grande distribution, il n’est diffusé qu’à travers un réseau de détaillants sélectionnés avec exigence, cordonneries et rayons spécialisés des grands magasins prestigieux. C’est en 1955 que Saphir Médaille d’Or ouvre sa première antenne commerciale, à New-York City. L’alliance entre savoir-faire français et souci de l’innovation assure le triomphe de la marque aux États-Unis. Fort de son succès, Saphir Médaille d’Or commence à exporter ses produits en Asie, via Hong Kong.
Nos clients se distinguent avant tout par leur quête d’excellence et d’efficacité. Les Français, qui montrent une vraie sensibilité à l’élégance, trouvent en Saphir Médaille d'Or le partenaire idéal pour entretenir leurs pièces en cuir dans les meilleures conditions. Au-delà de nos frontières, notre clientèle internationale se compose de profils tout aussi exigeants. Les Japonais, très minutieux, réputés pour leur esthétisme raffiné, sont attirés par la qualité exceptionnelle de nos produits. Les Anglais, connaisseurs en matière de tradition et d'artisanat, trouvent en Saphir Médaille d'Or une alliance parfaite répondant à leurs attentes. Les Russes, friands de luxe et d’efficacité en raison du climat très rude pour les souliers, s'attachent à la marque pour sublimer leurs pièces en cuir. Enfin, les Américains en quête d’innovation voient en Saphir Médaille d'Or un incontournable. Certains de ces passionnés internationaux partagent même désormais leurs plus belles réalisations maison (notamment les glaçages!) sous le hashtag #shinewithsaphir.
Hugo aura l’occasion de vous reparler de l’histoire entrepreneuriale de Saphir plus en détail lors d’une prochaine vidéo des Discussions Sartoriales. Pour le moment, je ne me voyais pas disserter sur l’entretien des souliers seulement d’un point de vue théorique : il faut quand même que nous mettions la main à la pâte, sans mauvais jeu de mots.
Nous allons reprendre ici les principales étapes de la démonstration réalisée par Quentin Planchenault, Pierre Ta et Vincent Metzger dans les épisodes consacrés à l’entretien du cuir et l’entretien du veau velours. N’hésitez pas à visionner les vidéos en question si vous ne l’avez pas déjà fait – les choses ne vous en paraîtront que plus concrètes et intelligibles. Notez qu’en cliquant sur les photos, vous accéderez, pour la plupart des produits, directement au site de Mes Chaussettes Rouges, qui est un des revendeurs de la marque en France.
Rappel de quelques fondamentaux : la nécessité des embauchoirs, avant toute chose, ces derniers permettant au soulier de garder sa forme. Ensuite, le fait d’éviter de porter la même paire deux jours d'affilé. Enfin, le choix d'une routine d'entretien régulière mais pas trop fréquente non plus : une fois installé un bon roulement dans votre collection de souliers, un cirage une fois par mois (voire tous les deux mois) suffira. Ce principe de mesure et de dosage vaut aussi pour les quantités de produit que vous utiliserez lors de l'entretien : veillez à ne pas saturer le cuir !
Prenons les choses dans l'ordre : enlevez les lacets, puis insérez les embauchoirs dans les souliers. La première étape, assez sommaire mais importante, consiste à dépoussiérer vos souliers à l'aide d'un décrottoir, aux poils assez épais.
Ensuite, votre objectif sera de nettoyer le cuir à l'aide d'un lait nettoyant léger (appelé cleanser), et ce, en vous servant d'une chamoisine, à l'aide de laquelle vous réaliserez des mouvements circulaires.
Si vous ne souhaitez pas réaliser un entretien complet, mais simplement nettoyer et nourrir légèrement le cuir, notez que la simple utilisation d'une lotion suffira (nous avons tous connu ce cirage de dernière minute !)
Si l'on suit néanmoins le déroulement d'un entretien complet, il faut à présent nourrir et recolorer le cuir (entendons-nous, celui-ci n'a pas perdu sa couleur entre temps, il s'agit juste de raviver sa teinte). Pour cela, un produit : la crème. J'attire votre attention sur le fait que l'usage d'une brosse est préférable pour cette étape - jusqu'à récemment, j'utilisais encore pour ma part une chamoisine.
Pensez à faire le tour de la chaussure et à nourrir la trépointe, cette portion de cuir qui dépasse sur le côté ! Vient ensuite une partie fort gratifiante sans doute, puisqu'il s'agit de lustrer le soulier. Munissez-vous d'abord d'une brosse-polissoir, et parcourez en frottant énergiquement la chaussure ; puis repassez avec une chamoisine.
Vous pourrez enfin vous adonner au plaisir final du cirage : votre objectif est de faire briller votre chaussure (et par la même occasion de l'imperméabiliser). Veillez à bien réaliser cette étape en dernier ! Le mode d'emploi ? Venez tamponner la pâte de cirage avec une brosse spéciale (encore une me direz-vous !) et frottez énergiquement.
Vous pourrez ensuite reprendre votre brosse-polissoir ainsi que votre chamoisine, et reparcourir la surface du cuir. Pour les jusqu'au-boutistes, le gant à lustrer, qui ne pourra que sublimer le tout et qui vous servira même pour un ravivage quotidien, sans entretien.
Le veau velours peut intimider : en réalité, son entretien se résume à quelques gestes simples, et un nombre d'outils réduit. En revanche, les avertissements généraux valent toujours : les embauchoirs sont indispensables, et les lacets doivent être retirés.
Premier point : utiliser un décrottoir basique, ou acquérir une brosse décrottoir spéciale, qui comporte une section de laiton parmi les poils, et s'en servir pour raviver le poil du soulier.
Deuxième étape : le passage plus ponctuel et précautionneux avec une brosse-crêpe.
On entre ensuite dans une partie plus facultative de l'entretien : le passage d'un morceau de papier de verre gros grain pour réussir à atteindre les zones plus difficiles d'accès, et relever le poil.
Vous pourrez ensuite passer un shampoing (l'omninettoyant) sur votre soulier : un décrottoir (simple, sans laiton) vous suffira pour appliquer le produit.
Etape primordiale cependant : frotter ensuite la chaussure avec de l'eau, toujours à l'aide d'un décrottoir. Il s'agira ensuite d'attendre une bonne heure pour que le cuir sèche.
Vous pourrez ensuite reprendre votre décrottoir, et reparcourir la chaussure en frottant (faites-le dans un seul et même sens), avant de passer à une nouvelle étape : l'utilisation du rénovateur. Ici, soyez précautionneux, car le produit fonctionne par pulvérisation.
Appliquez le rénovateur dans le même sens que celui avec lequel vous venez de brosser la chaussure ; puis, rebrossez-la et pulvérisez à nouveau du produit, dans l'autre sens cette fois. L'idée est de couvrir les deux côtés du poil.
Vous pourrez ensuite accorder un peu de soin à la semelle : ici, rien de bien nouveau. Munissez-vous d'un pommadier, d'une brosse trépointe, et bichonnez le dessous de la semelle. Il s'agira enfin d'utiliser une huile semelle cuir, si vous voulez vraiment aller au bout de l'entretien et si votre chaussure ne comporte pas de patin. Attention, il convient d'appliquer le produit sur certaines zones de la semelle, et surtout pas sur son intégralité : reportez-vous à la vidéo des Discussions Sartoriales pour ne pas prendre le risque de glisser avec vos chaussures !
Il ne restera plus qu'à imperméabiliser votre paire de souliers : le seul produit nécessaire, un imperméabilisant (un autre spray, à ne pas confondre avec le précédent).
Notez bien qu'un tel entretien n'est nécessaire que quelques fois par an : un simple passage de brosse et un coup de rénovateur pourront suffire pour le soin courant.
Vous l’aurez compris chers lecteurs, une démarche sartoriale complète et authentique ne peut se limiter à un acte d’achat. Une fois acquises les pièces qui feront votre garde-robe, encore faudra-t-il leur consacrer le soin et le temps qu’elles méritent. C’est ce qui fait la beauté de notre démarche : nous reprenons conscience de la valeur des objets, des matières, des savoir-faire, et nous acceptons de nous couper du rythme effréné de nos vies pour leur consacrer un peu de temps.
Je vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d'année,
Cheers,
Léon