Caussade, dans le Tarn et Garonne, est l’un des derniers centres historiques du chapeau en France, industrie aujourd’hui bien réduite. Il reste cependant une belle marque française, Crambes, active depuis 1946. La maison Crambes, aujourd’hui dirigée par le petit-fils du fondateur, Thierry Fresquet, perpétue un savoir-faire et un style autrefois si essentiels à l’habillement urbain.
Reconnue «entreprise du patrimoine vivant» par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, Crambes fabrique 600 chapeaux par jour grâce au travail de 55 employés et commercialise environ 360 000 pièces par an. Crambes travaille pour de nombreuses marques réputées, de Lacoste à Yves St Laurent, et produit aussi des chapeaux vendus sous sa propre marque auprès de différents distributeurs.
Contrairement au travail des chapeliers (comme Pauline Brosset, évoquée dans ces colonnes récemment ICI) qui est un travail sur mesure, Crambes est un fabricant industriel. Cela n’empêche pas évidemment la qualité de fabrication et des matières premières. La gamme de chapeaux de ville que propose Crambes est d’ailleurs intéressante à plusieurs titres.
Après avoir essayé quelques couvre-chefs, nous pouvons confirmer, sans hésitation, le savoir-faire de la maison Crambes.
Tout d’abord, il s’agit d’un travail de bon niveau, attentif à utiliser des fournitures de qualité.
Ensuite, le style ne déçoit pas: le fédora est classique, avec un bon équilibre de la longueur des bords et du rabat sur le devant. Les bords remontent peu et la couronne est creusée en gouttière. C’est la prestance de la couronne et le léger plongeon de la visière qui fait l’élégance du fédora. Le ruban est sobre, en soie gros-grain, ce qui est plus élégant et apporte un véritable cachet (alors que des bandes minces écrasent la perspective de la couronne et sont beaucoup plus casual).
Au rang des grands classiques, on remarque le fédora noir en feutre ras (ci-dessus). Le feutre de poil (lapin) est d’une belle qualité. Il est souple et la couronne possède une hauteur bien proportionnée (10-11 cm), ce qui permet au couvre-chef de convenir à la grande majorité des formes de visage.
La différence avec les feutres vendus à la sauvette pour les touristes saute aux yeux. Loin de la rigidité «cartonneuse» de ces médiocres imitations, ce chapeau possède en effet une souplesse et une «main»; sans parler de la finesse des bords et de la qualité des finitions (intérieur satin).
On fera des remarques similaires pour un autre modèle, proposé par Crambes sous la marque Broswell: c’est un somptueux couvre-chef en feutre de lapin, lièvre et cachemire (voir en ouverture de l’article). Le soyeux est incomparable et la texture «poilée» confère à ce gris anthracite une densité riche avec un léger effet poivre et sel.
Le panama proposé par Crambes (tissé en Equateur) est également un classique qui s’harmonise naturellement avec toutes les tenues de printemps-été. Il partage la forme générale du fédora. Le modèle de Crambes est de milieu de gamme: il possède de la tenue mais il ne s’agit pas d’un modèle crushable ou d’une paille d’une finesse extrême. La forme est racée et le ruban marron est plus doux que le traditionnel ruban noir.
Nous avons rencontré le responsable de Crambes, Thierry Fresquet qui a partagé quelques réflexions sur son entreprise et sur l’évolution du marché :
«Certaines marques françaises vont acheter leur feutre en République Tchèque et en Pologne. La tradition a été préservée, là-bas, et l’on trouve encore de belles unités de production. Malheureusement, on y trouve également beaucoup de produits bas de gamme, notamment du feutre chinois transformé en Italie pour avoir le droit de porter la mention «Made in Italy»…
Il y avait sept entreprises de fabrication de chapeaux à Caussade et nous ne sommes plus guère que deux ou trois. J’ai 55 employés et les autres usines sont plus petites. Esperaza, dans l’Aude, cela représentait à une époque plus de 200 employés. Il doit en rester aujourd’hui à peine une quinzaine…»
L’entreprise a été créé en 1946 et a toujours eu une production diversifiée:
«Historiquement, notre spécialité, c’était le chapeau en tissu formé. Ensuite, nous nous sommes diversifiés, avec les casquettes formées ou patronnées. Je suis fier de notre création, le Safari, chapeau délavé formé qui est en quelque sorte le jean du chapeau. Il y a une continuité: nous avons conservé des moules qui portent le code de l’année, 1956, 1958…
Récemment, j’ai eu une commande de fez de Turquie: je me rappelle en avoir vu chez nous, mais je n’ai malheureusement pas retrouvé le moule— et pourtant, cela fait quarante ans que je suis dans l’entreprise— on a dû arrêter il y a un moment! Nous renouvelons les jeux de formes régulièrement. »
Crambes est avant tout un fabricant et repose sur son réseau propre:
«Notre site n’est pas marchand, nous ne vendons pas aux particuliers. Ce serait déloyal par rapport à nos clients. Pour nous trouver, il faut aller à la chapellerie Julias (59 boulevard Barbès 75018) ou au Bon Marché, ou encore passer par le site de Traclet On peut trouver le Dakota en cachemire dans les boutiques Autan Modes à Toulouse et Albi et sur internet chez Bon clic bon genre. Traclet ne diffuse que le Max en feutre rasé mais je suis persuadé que s’il a des demandes pour le cachemire, il y donnera suite.»
Crambes travaille également pour des grandes marques de luxe, comme Hermès:
«Hermès nous soumet des croquis et ensuite, c’est à nous d’imaginer le moule et les procédés techniques pour parvenir à nous rapprocher de ce qu’ils veulent. Nous faisons aussi des propositions, mais l’intérêt pour eux est de fournir le tissu du chapeau coordonné avec une tenue de leur collection. Évidemment, quand il s’agit de matériaux traditionnels comme le feutre ou la paille, c’est nous qui sommes les mieux placés pour nous en occuper.»
A côté des chapeaux en tissu ou des casquettes, Crambes propose différentes qualités de feutre:
«Le haut de gamme que nous proposons est un mélange de cachemire et de lapin ou de feutre de lapin avec une petite proportion de lièvre. Pour des raisons historiques, les fabricants de chapeaux ne sont pas tenus de préciser la composition des produits. On considérait autrefois que les recettes de feutre étaient secrètes…
Aux Etats-Unis, la qualité est formulée en X. Le plus courant, c’est 4X. La qualité maximale, le 20 X, correspond à un produit 100% castor mais il n’y a plus beaucoup de demande dans ce domaine.»
Paradoxalement, si l’économie du secteur s’est réduite, les chapeaux conservent une certaine continuité stylistique:
«Le feutre classique n’a pas beaucoup changé. Il y a moins de choix dans les garnitures, mais à part cela, les formes ne s’éloignent pas de la couronne traditionnelle. Dans la qualité cachemire, hormis le gris anthracite nous proposons du noir et du camel (pas de coloris «audacieux» hélas). La gamme du feutre rasé est plus large (acier, asphalte, chocolat, noir, taupe, whisky).»
Anciennement porteur de la licence Stetson (distribuée désormais par un unique licencié américain), Crambes a développé une ligne haut de gamme sous le nom de la marque Broswell, déposée en 1994, pour les feutres un peu exceptionnels, à la fois plus beaux et plus résistants:
«Le feutre de poil (lapin, lièvre, castor…) est par nature imperméable. Contrairement au feutre de laine, il n’est pas nécessaire de lui faire subir un traitement chimique pour lui donner cette propriété. Il offre donc une très bonne protection contre la pluie. Il résiste également à bien des mauvais traitements et même au fameux compartiment bagage dans les avions dont il peut ressortir en boule. Heureusement, avec cette qualité de feutre, le chapeau retrouve sa forme avec un simple tour de main !
Il n’y a pas de consigne d’entretien particulière pour le mélange lapin/ cachemire mais seul un chapelier professionnel était habilité à nettoyer un chapeau en feutre. J’ai peur qu’il n’en existe plus beaucoup de nos jours. L’entretien d’un chapeau en feutre reste donc un vrai problème. »
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Voir le blog (de John Slamson) : Sartorial Delights