Il ne suffit souvent pas de porter de belles parures, on prétend aussi s’affubler des signes linguistiques de la distinction prouvant que l’on sait ce que l’on porte.
Or, les raccourcis du marketing et la perte de mémoire contribuent à de nombreuses confusions terminologiques. Le cumul des métonymies et l’internationalisation des usages a ainsi quelque peu troublé le sens de termes sartoriaux pourtant simples. Tentons donc d’être précis si on peut encore l’être.La cravate dite « Macclesfield » est présentée par Alan Flusser dans Dressing the Man (pp. 147-148) comme « la quintessence du bon goût pour les classes supérieures anglaises ». Il la décrit comme « des groupes de motifs en soie tissée, losanges, carrés ou cercles […] formant un effet de marqueterie » et précise qu’on la décrit souvent comme « cravate de mariage ».
Par métonymie, Macclesfield est employé dans trois sens différents.
Macclesfield est d’abord une origine géographique. Macclesfield est une petite ville du Cheshire (au sud de Manchester). L’histoire de la ville est dominée par la présence d’usines de filature de soie depuis le XVIIe siècle (et à plus petite échelle un siècle avant, notamment pour les boutons de soie). La soie était importée d’Italie et tissée dans tout le Cheshire (Stockport, Bollington…). Selon la conjoncture (notamment les droits sur les importations de soie), on y tissait aussi le coton mais à la fin du XIXe siècle, la soie domine entièrement la production et il ne reste plus de tissage de coton.
C’est à partir de 1685 que les Huguenots chassés de France par la révocation de l’Edit de Nantes s’installèrent d’abord à Spitafields, dans la banlieue de Londres pour échapper aux taxes londoniennes, puis ensuite à Macclesfield précisément parce qu’une petite industrie de la soie y existait déjà. Ils sont responsables du développement technique du tissage dans le Cheshire. La plupart des fileurs de soie travaillaient chez eux pour des négociants qui leur fournissaient les matières premières.
C’est en fait à partir de 1773 que Macclesfield va connaitre une croissance remarquable, à la fois grâce au perfectionnement technique mais surtout parce qu’à cette date, les tisserands londoniens percevait un salaire fixe et les négociants partirent chercher de meilleures marges dans le Cheshire. En 1832, la ville comptait à elle seule 71 manufactures.
Il ne reste plus guère que quelques filatures aujourd’hui, ce qui rend inutile de chercher des cravates en provenance de Macclesfield. Il ne restait que deux usines en 2015, ce qui occasionna une petite résurgence : RA Smart, tisserand de soie de Bollington, a mis en place un partenariat avec le magasin John Douglas à Stockport afin de créer des cravates et des écharpes produites localement. Mais cela reste d’une ampleur limitée.
Macclesfield désigne ensuite de manière générique le recours à des petits motifs géométriques tissés (et surtout pas imprimés) sur une cravate en soie. C’est l’emploi descriptif dominant qui correspond à un effet bien particulier où les motifs ressortent très nettement, comme en relief : chevrons, bâtonnets, pois, losanges ou triangles sont les motifs privilégiés. Par la richesse et la minutie des détails, les motifs en soie tissés apportent un relief magnifique au tissu tout en restant d’une grande discrétion. Notons bien que le motif doit être le fruit d’un tissage : pour décrire de petits motifs imprimés, on parle de all-over.
Enfin, Macclesfield désigne souvent (comme chez Flusser), un exemple emblématique de la cravate Macclesfield, c’est-à-dire le pied-de-poule (houndstooth) bicolore (noir et blanc, bleu et blanc, argent et blanc), parfois également appelé wedding tie. C’est un emploi abusif car il ne s’agit que d’une seule sorte de motif Macclesfield.
Malgré ces rapprochements métonymiques qui correspondent à trois emplois distincts (la ville/ la soie ; la ville/ la technique qui la distingue ; la ville/ un modèle emblématique), il ne faut pas oublier que la technique est désormais détachée de Macclesfield et que les liens historiques entre la technique de tissage de la soie et le Cheshire ont en fait disparus. Trace touristique résiduelle, le tissage de la soie n’a plus du tout la centralité économique qu’il a pu avoir.
C’est sans doute par une forme de nostalgie que l’on tient encore à utiliser le mot. Cela nous rappelle que les vêtements et les tissus, les techniques et leur diffusion possèdent une histoire, celle d’un temps où les lieux se définissaient par leurs savoir-faire, leurs ressources, leurs réseaux hydrographiques et routiers. L’internationalisation de la production vestimentaire a quasiment recouvert notre mémoire d’un voile d’indifférenciation.
Pourtant, au-delà du terme lui-même, et malgré les incertitudes historiques et techniques qui l’entourent, il semble bien que l’on désire toujours avoir recours à des mots qui nous ancrent dans une histoire.
Il ne tient cependant qu’à nous que cette histoire ne soit pas qu’un mot et que, de temps en temps, nous nous penchions sur la réalité du passé et son processus de désagrègement.
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John Slamson TumblrPhoto d'ouverture © No Man Walks Alone