Interview : "A la rencontre du Parisian Gentleman et de ses souliers"

Hugo JACOMET
17/12/2015
Interview : "A la rencontre du Parisian Gentleman et de ses souliers"

Cet article est la retranscription intégrale d’une interview réalisée par mail et publiée sur le blog du Dark Planneur.

Darkplanneur :  « Quelle est la mission de votre blog ? Comment peux t’on définir un Parisian Gentleman, quelles sont ses valeurs, ses marques iconiques, ses souliers totems ? »

Hugo Jacomet : « Parisian Gentleman est, je pense (j’espère), un media complètement atypique dont le but n’est pas uniquement, de parler de vêtements, de « how to » , de « do’s and dont’s » et de comment s’habiller avec style et goût.

Son but (plus que sa mission) est de prêcher les bienfaits d’une vie plus élégante en tentant de dépasser le simple sujet du vêtement et de son utilisation. Je crois, en effet, aux vertus d’une vie plus élégante et au fait qu’une bonne éducation sartoriale peut vraiment transformer en profondeur la vie de quelqu’un et que la recherche d’une élégance personnelle n’est pas un sujet mineur ni secondaire.

C’est même un sujet qui ne peut être correctement abordé sans un effort réel de mise en abyme avec le monde qui nous entoure. D’ailleurs s’il arrive fréquemment (pour ne pas dire toujours) que l’on évoque l’élégance (surtout lorsqu’elle est masculine) comme un phénomène futile, une beauté mineure, voire un emblème de caste (très à la mode actuellement, surtout pour ceux qui aiment se faire glacer les pompes à domicile), force est de constater que le sujet, lorsque l’on prend le temps de l’étudier sérieusement, devient très rapidement incroyablement paradoxal.

Car l’élégance signifie le soin mais aussi la nonchalance. Le rigide, mais aussi le gracieux. La justesse mais aussi le flou. Le sobre mais aussi le fleuri. La pudeur mais aussi l’effet. L’attribut mais aussi l’acte. Nous traitons donc, chez Parisian Gentleman, d’un sujet hétérogène où interfèrent l’agrément, la socialité, l’esthétique et la technique.

Le style masculin fait aujourd’hui l’objet d’un formidable foisonnement humain, plus ou moins prometteur, avouons le, en termes de développements dialectiques, mais dont les ambiguïtés, les nuances et les oppositions vivantes apportent au sujet un charme et une fertilité indéniables.

Un Parisian Gentleman est impossible à définir puisque, par essence, il aura développé un style qui lui est propre et qui, par définition, échappera à tous prix aux diktats des « créateurs » qui auront décidé pour lui ce qu’il allait porter et comment il allait se présenter à autrui. Ses valeurs sont donc des valeurs de résistance (face au prêt-à… porter-manger-jouir-penser) et un dédain élégant face à la médiocrité ambiante.

Ses icônes sont, précisément, de moins en moins des marques mais des hommes, des artisans, des tailleurs, des bottiers, des chemisiers, des vraies personnes : ils ne s’appellent plus Marc Jacobs, Hedi Slimane ou Karl Lagerfeld, mais Lorenzo Cifonelli, Marc de Luca, Pierre Corthay, Jean-Claude Colban ou Anthony Delos.

Ses souliers totem sont ceux qu’il se sera fait faire en bespoke (si ses moyens lui permettent) ou, à tout le moins, en Made-To-Order car il aura choisi la forme (qui représente 80% de l’esthétique d’un soulier et change TOUT, quel que soit le design de ce dernier), le patronage, la matière et la patine.

Berluti Alessandro
Corthay Arca
John Lobb William
J.M. Weston 180
Aubercy Lawrence

Ceci étant dit quelques souliers ont marqué les hommes ces dernières années : L’Alessandro (escarpin one cut) de Berluti, l’Arca (derby deux oeillets) de Corthay, le William (derby double boucle) de John Lobb, le 180 (penny loafer) de J.M. Weston ou la Lawrence (bottine Balmoral à boutons) d’Aubercy. »

Darkplanneur : « Les moins de 30 ans et les souliers. Y’a t’il une évolution de leur comportement ? Quels sont leurs leviers de motivation ? Les marques et les modèles qu’ils désirent ? L’influence des blogs masculins sur leurs achats ? »

Hugo Jacomet : « Il y a une REVOLUTION du comportement des moins de 30 ans en matière d’achat de souliers. Chaque 18 mois nous publions sur PG ce qui, je pense, est la plus importante sélection de souliers éditée au monde avec, pour la dernière édition, plus de 60 marques étudiées/répertoriées/chroniquées.

Cette sélection est, de loin, l’article le plus consulté de PG (plus de 350 000 consultations en français et en anglais) et déclenche, pour certaines petites maisons méconnues, récentes ou ayant peu de notoriété, des avalanches de commandes. Certaines maisons de taille moyenne ont même du mal à répondre à la demande que notre sélection génère.

Pourquoi ? Parce que nous ne parlons, sur PG, que du produit, de sa construction, de sa provenance, de la qualité des cuirs et la façon dont il est fabriqué.

Il y a encore 6 ou 7 ans (lorsque j’ai créé PG), peu de personnes comprenaient la différence entre un soulier collé, un montage Blake, un Blake-Rapid, un montage Good-Year, un Norvégien ou un cousu-trépointe. Aujourd’hui les jeunes gens, en tous cas ceux qui achètent des souliers de façon sérieuse (donc pas uniquement pour répondre au besoin vital de protéger leurs pieds), ont une vraie tendance à s’écarter des marques pour se rapprocher du produit et de ses qualités. Et croyez moi, ce n’est plus uniquement l’apanage de quelques allumés du Brogue ou de la lisse-ronde qui s’entretuent sur les fora spécialisés.

Le phénomène est en train de devenir global et les marques sont donc obligées de monter en qualité. Elles n’ont plus le choix. Le temps où l’on pouvait vendre du plastique au prix de l’or est révolu. En tous cas pour les consommateurs en Europe et aux USA.

Pour ce qui est de l’influence des blogs masculins sur leurs achats je pense qu’elle est devenue prépondérante voire capitale. Plus personne ne « croit » en une double-page de publicité dans un magazine en papier glacé.

En revanche les lecteurs des blogs sont ultra fidèles et suivent volontiers les recommandations qu’ils y trouvent.

Mais créer cette confiance et cette fidélité est un travail de longue haleine. Chez PG nous allons fêter notre 7ème anniversaire… avec presque 1500 articles publiés en 4 langues. Ceux qui pensent qu’il « suffit » d’avoir un compte Instagram (même avec énormément de followers) pour « influencer » les internautes se trompent lourdement. Je connais des marques de style masculin qui ont un quart de million de followers sur Instagram et qui ne parviennent pas à décoller…

Darkplanneur : « La tension entre la proclamation d’un passé glorieux et le devoir de contemporanéité semble maximale, qu’en pensez-vous ? Quelles sont les maisons qui ont trouvé leur point d’équilibre entre passé et présent ? »

Hugo Jacomet : « Le « tradition washing » est en train d’atteindre des sommets qui frisent le ridicule avec des « histoires » littéralement inventées et des dates de création de plus en plus fantaisistes (et, par définition, invérifiables).

L’oncle Robert, vague cousin éloigné de la famille ayant fait un pauvre stage de manutentionnaire de quinze jours dans une usine de cuir dans les années 20 (car il n’était pas une lumière à l’école et que l’on ne savait pas trop quoi faire de lui), se voit aujourd’hui soudainement propulsé au rang de fondateur d’une dynastie d’artisans de haut vol tandis que sa vie se voit romancée comme au temps des ménestrels qui chantaient les louanges (inventées) de leurs seigneurs. C’est ridicule, malhonnête et surtout, cela ne durera pas. Les consommateurs ne sont pas complètement idiots et le marketing de la poussière et des reliques est arrivé à un point de rupture.

Un consommateur éduqué, et croyez moi il s’éduque vraiment dans notre domaine en ce moment, se contre-fout de la date de création d’une entreprise. Ce qui l’intéresse c’est le produit, son style et sa qualité.

Ceci étant dit, il y a dans l’achat d’un objet dit de luxe, un profond rapport au temps. Gille Lipovestsky l’explique fort bien dans son livre « Le Luxe Eternel » en 2002 : Depuis les origines, le luxe a un lien intrinsèque avec le temps. Les mécènes antiques dépensaient des fortunes pour que leur mémoire soit immortalisée. Aujourd’hui, les maisons de luxe ne font pas autre chose, même si c’est sous une forme paradoxale. D’un côté, en effet, il faut innover sans cesse : c’est la logique du présent et de la mode. D’un autre côté, pourtant, il leur faut célébrer la légende fondatrice, le mythe des origines, la tradition et les savoir-faire ancestraux. On retrouve cette ambivalence dans la consommation : être dans le coup, mais aussi jouir de ce qui a une épaisseur temporelle.

On ne consomme pas n’importe comment l’objet de luxe. La ritualisation fait partie du plaisir : c’est aussi de la durée, de la mémoire, de l’éternité que l’on achète et que l’on aime. Dans la société Kleenex, le luxe apporte ce contrepoids de durée qui conjure la mort en nous redonnant une profondeur de temporalité. Il y a paradoxalement une dimension métaphysique au coeur des passions les plus matérialistes.

Certaines maisons ont réussi a trouver leur équilibre dans le domaine comme John Lobb (Hermès) ou Berluti (LVMH). »

Darkplanneur : « Faisons une Brand Review Express du Parisian Gentleman. »

– Berluti ? La maison par qui la révolution est arrivée. Olga Berluti a transformé, dans les années 80, un objet de nécessité en objet de désir. Tous les amateurs devraient posséder une paire d’Alessandro ou de Warhol. Quelle que soit la fragilité de l’objet. C’est le bijou de la chaussure.

– John Lobb ? La référence du soulier ultra classique et conservateur qui, contrairement aux croyances, est autant parisienne que londonienne (puisque lorsque Hermès rachète Lobb en 1976, l’atelier parisien, avec des bottiers parisiens, existe depuis 1902). Berluti est la Ferrari, Lobb l’Aston Martin. Discrète et presque inégalable en grande mesure (bespoke).

– J.M. Weston ? : L’une des plus belles manufactures au monde. Qualité et durabilité. Un vraie fleuron du « Made in France ». Une paire de Weston Chasse vous survivra tellement la chaussure est solide et bien faite.

– Edward Green ? : le soulier Anglais par excellence, le talent de John Lustik, des souliers indémodables. Maison superbe mais aujourd’hui « bousculée » par Gaziano and Girling (Tony Gaziano est l’ancien patron du sur-mesure chez Green).

– Todd’s ? Sans commentaire. Un marketing génial à partir d’un seul modèle (car-shoe), mais une marque franchement sans intérêt pour les vrais amateurs.

– Church’s ? Ma première vraie paire (Un fabuleux derby Grafton acheté en 1982) mais depuis, une institution tombée dans les mauvaises mains (au moins pour les puristes). Prada qui achète Church’s, c’est Louboutin qui achète Lobb, ou Toyota qui achète Bugatti. Aucun sens. Un grand regret même si la qualité semble revenir (un peu).

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