Chers lecteurs,
Je vous propose aujourd'hui de poursuivre notre série consacrée à l'élégance et aux personnages de romans.
Si je vous parle des grands auteurs du XIXe siècle, vous ne penserez sans doute pas immédiatement à Barbey d’Aurevilly - écrivain qui vécut de 1808 à 1889 et qui a toutes les raisons de retenir notre attention.
Il fut un grand dandy, une sorte de tempête furieuse qui occupait le devant de la scène parisienne. C’était un critique et écrivain implacable, à la plume acérée. Aucune fantaisie ne lui résistait, et il s'appliquait à réaliser le dessein majeur des dandys : être en rupture avec son temps. Même avec l’âge, son élégance restait écrasante, et son accoutrement complètement désuet avait quelque chose d’intimidant et de fantasque.
Si je vous parle de lui aujourd’hui, c’est parce qu’il nous a notamment laissé un recueil formidable : Les Diaboliques. Vous y trouverez des histoires courtes, glaçantes et formidablement ironiques. Au sein des Diaboliques se trouvent plusieurs dandys, qui sont en réalité les personnages principaux de ces nouvelles. L’une de ces histoires me plaît particulièrement : il s’agit du « Rideau cramoisi », dont le protagoniste est le Vicomte de Brassard.
Vous présenter ce personnage revient un peu à nier tout ce que le terme dandy veut dire aujourd’hui. Le Vicomte est bien trop excentrique pour correspondre à ce que les hashtags ont fait du mot « dandy ». Et puis, notre personnage est un militaire. Cela peut nous paraître contre-intuitif, mais pour le XIXe siècle, l’appartenance à l’armée n’excluait pas la possibilité d’être très élégant et coquet. Le prestige et l’aura des jeunes officiers dans les salons sont d’ailleurs un lieu commun de la littérature de cette époque.
Évidemment, notre vicomte est un dandy, il ne se contente donc pas d’être simplement élégant : il va plus loin, et je vais citer un extrait légèrement coupé pour vous le prouver.
« Blessé grièvement aux Trois Jours, il avait dédaigné de prendre du service sous la nouvelle dynastie des d’Orléans qu’il méprisait. Quand la révolution de Juillet les fit maîtres d’un pays qu’ils n’ont pas su garder, elle avait trouvé le capitaine dans son lit, malade d’une blessure qu’il s’était faite au pied en dansant — comme il aurait chargé — au dernier bal de la duchesse de Berry. — Mais au premier roulement de tambour, il ne s’en était pas moins levé pour rejoindre sa compagnie, et comme il ne lui avait pas été possible de mettre des bottes, à cause de sa blessure, il s’en était allé à l’émeute comme il s’en serait allé au bal, en chaussons vernis et en bas de soie, et c’est ainsi qu’il avait pris la tête de ses grenadiers sur la place de la Bastille. Le capitaine de Brassard rangea ses soldats sur deux lignes, le long et le plus près possible des maisons, de manière que chaque file de soldats ne fût exposée qu’aux coups de fusil qui lui venaient d’en face, — et lui, plus dandy que jamais, prit le milieu de chaussée. »
Les dandys sont des personnages fantaisistes. Ils ont leur propre héroïsme, leur propre échelle de valeurs. Ils mettent un point d’honneur à devancer leurs contemporains, que ce soit par un bon mot, ou ici, un quasi-suicide. Le dandy ne se dit jamais « et après ? » : vous le voyez, il charge tête baissée. La nouvelle « Le Rideau cramoisi » regorge d’anecdotes amusantes de ce type ; vous y apprendrez que le Vicomte a un goût un peu trop prononcé pour le duel, ou qu’il ne se soumet à la discipline militaire qu’en des occasions bien précises.
Retenons surtout de cette lecture à quel point les vrais dandys, ceux qui ont inspiré de tels personnages, étaient hauts en couleurs, et contradictoires. La beauté de ces figures réside justement dans le fait que ces personnalités pleines de panache semblent hautement invraisemblables, bien trop fières pour avoir existé – cependant, je peux vous l’assurer, si le Vicomte est un personnage de fiction, celui qui l’a imaginé, Barbey, n’était pas en reste comparé à sa créature.
Je me garderai bien de vous en dire plus sur les aventures du Vicomte de Brassard. Je vous laisse le plaisir d’aller découvrir ces formidables pages écrites par Barbey d’Aurevilly.
A bientôt chers amis