Afin d’inaugurer cette série d’essais horlogers dans les colonnes de Parisian Gentleman, nous vous proposons de renouer avec la lecture de l’heure telle qu’elle était pratiquée dès l’Antiquité, juste après l’apparition du cadran solaire : via un seul segment. Il faudra en effet patienter jusqu’à l’aube du 18ème siècle pour qu’apparaîsse la deuxième aiguille.
Fidèle au concept de mono-aiguille, la marque allemande Meistersinger – domiciliée à Munster mais dont les montres Swiss Made sont produites à Bienne – est présente dans 29 pays et a été récompensée par 13 design awards, parmi lesquelles la prestigieuse « Red Dot Award » ainsi que la « German Design Award » pour le design novateur de la Pangaea Day Date qui fait l’objet du présent essai.
Le terme Pangaea, ou Pangée, a été introduit en 1915 par le météorologue et astronome allemand Alfred Wegener pour désigner la totalité des terres émergées qui formait un ensemble unique, avant que la tectonique des plaques n’engendre la dérive des continents, il y a, environ, 290 millions d’années.
Doté d’un cadran ivoire et d’une aiguille bleue, notre modèle d’essai affiche un contraste optimal pour la lecture de l’heure, laquelle nécessite néanmoins une explication.
Comment, en effet, afficher l’heure avec une seule aiguille ? Meistersinger a divisé le cadran en 144 segments de 5 minutes, soit la plus petite unité de temps indiquée par ce modèle.
En d’autres termes, cette montre donne l’heure à cinq minutes près ! Nous sommes donc très loin de la fameuse quête de précision maximale (au milliardième de centième de nano seconde) qui orne le bélier du marketing horloger. Il s’agit cependant, à notre avis, d’une proposition à la fois élégante, un peu gonflée et savoureusement décalée.
À l’usage, si quelques instants suffisent pour intégrer mentalement le principe, plusieurs jours m’ont tout de même été nécessaires pour que cela ne me demande plus aucun effort. Les plus facétieux d’entre vous pourront inviter leurs proches à lire l’heure sans leur fournir d’explication.
Le cadran affiche donc de petites graduations toutes les 5 minutes, tandis les heures sont indiquées par leur chiffre. Un trait de graduation un peu plus long marque les quarts d’heure et un autre, encore légèrement plus long, marque les demi-heures, de sorte qu’une paresse oculaire a tôt fait de s’installer : d’un rapide coup d’œil l’on sait en effet qu’il est environ l’heure pile, et quart, la demie ou moins le quart.
Le respect de mon calendrier ne s’en est cependant pas trouvé affecté outre mesure.
Comme son nom l’indique, la Pangaea Day Date indique également le jour et la date grâce à un marqueur rouge situé à la verticale de 12 heures. Par souci de clarté, Meistersinger les a disposés sur deux disques concentriques qui se déplacent en sens opposés (horaire pour la date, antihoraire pour le jour) et qui sont totalement exposés, ce qui apporte certaine profondeur au cadran. À minuit, jour et date sautent à l’indication suivante avec un bel ensemble.
On procède à leur réglage en tirant la couronne jusqu’à la position A (la position B actionne la mono-aiguille) puis on la fait tourner dans un sens pour ajuster le jour et dans l’autre pour la date.
L’ensemble est abrité sous un verre saphir – sujet aux reflets – dont le bombé apporte une touche rétro à la montre. Sous certains angles, l’effet produit évoque celui d’une loupe.
Visible à travers le fond transparent qui équipe le dos de la montre, le mouvement automatique à l’œuvre sur la Pangaea Day Date peut aussi bien – selon la brochure – être un ETA 2836-2 qu’un SW 220-1 signé Sellita.
L’origine de cette surprenante alternative est à chercher du côté de la réduction significative, depuis 2011, des mouvements fournis par ETA – filiale industrielle du Swatch Group – aux « emboiteurs », soit les marques horlogères, comme Meistersinger, qui ne produisent pas leurs mouvements en interne.
En effet, le géant horloger Swatch Group – qui possède Hamilton, Certina, Tissot, Rado, Longines, Omega, Jaquet Droz, Glashütte Original, Blancpain, Harry Winston et Breguet – et qui alimentait le marché en pièces horlogères grâce à sa filiale ETA, a annoncé vouloir cesser de fournir la concurrence et a finalement joint le geste à la parole en réduisant progressivement ses livraisons de mécanismes aux marques qu’il ne possède pas jusqu’à cessation totale des livraisons à l’horizon 2020.
De nombreuses marques telles que Eterna, Oris, Alpina et, donc, Meistersinger, se sont alors naturellement tournées vers Sellita, dont les calibres SW se fondent sur les caractéristiques (dimensions et fonctions) des mouvements ETA tombés dans le domaine public. De nombreux horlogers Suisses utilisent ces mécanismes comme «standards», et ont ensuite la possibilité de les personnaliser avec des complications qui leurs sont propres.
Nous avons donc affaire à un tracteur fiable, à l’œuvre dans une montre arborant le label Swiss Made.
Une controverse existe cependant sur ce label car il signifie, en réalité, qu’au moins 50 % du mouvement doit être fabriqué en Suisse, et que la montre et son mouvement doivent être assemblés et contrôlés en Suisse. Cela signifie, en clair, que certaines montres peuvent donc être majoritairement composées de pièces provenant de Chine ou d’ailleurs tout en arborant, en toute légalité, le label Swiss Made.
Mais que dit la loi Suisse ? Pour être considérée comme Suisse, une montre doit avoir un mouvement Suisse emboîté en Suisse et être contrôlée en Suisse. Lequel mouvement Suisse doit être assemblé et contrôlé en Suisse. Clair ? En 2014, le taux de « suissitude » a donc été relevé à 60% (bien qu’il reste, a priori, assez malaisé à mesurer, mais c’est un autre sujet).
Retour derrière le fond vitré : offrant une confortable réserve de marche de 38 heures, notre tracteur Sellita ne fait pas l’objet de finitions particulières mais son rotor est orné d’un gravage et du logo Meistersinger. On pourra cependant le trouver quelque peu bruyant, en particulier lorsque l’on agite le poignet.
Après que le cuir du bracelet s’est assoupli, la montre s’est avérée plutôt confortable : le fond bombé a facilité son maintien sur mon poignet aux modestes 16 centimètres de circonférence tandis que les cornes (avantageusement intégrées au boîtier et peu proéminentes) atténuent la sensation de porter une pièce de grande dimension.
Avec un diamètre de 40 mm, la Pangaea Day Date s’éloigne donc résolument des dimensions d’une montre dite classique, mais la combinaison bracelet chocolat / cadran ivoire / aiguille bleue lui confère une allure volontiers conservatrice. La pièce ne devrait donc pas déparer au dîner de Monsieur l’Ambassadeur.
Son bracelet « impression croco » est doté d’une boucle ardillon qui, contrairement à la boucle déployante, expose la montre aux risques de chute mais présente l’avantage d’un confort accru – en particulier pour ceux qui ont, comme moi, des poignets menus, ainsi que pour ceux qui préfèrent porter leur montre de manière très ajustée.
Pour résumer :
La Pangaea Day Date offre un délicieux contraste entre sa facture classique et son système iconoclaste d’indication de l’heure qui constitue une invitation à réfléchir sur le sens réel de notre quête de précision extrême. Autrement dit, la Day Date nous invite à nous détendre.
En outre, son apparente simplicité s’accompagne de deux complications à l’affichage original mais efficace. Proposée à un tarif placé, cette pièce mérite donc, selon nous, toute l’attention de l’amateur comme celle du néophyte.
A noter la sortie, cette année, d’une version au cadran soleillé bleu saphir.
Emmanuel Laurent
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Meistersinger Pangaea Day Date
Boîtier : acier inoxydable verre saphir fond transparent, vissé par 6 vis 40 mm de diamètre étanche à 50 mètres
Cadran : Ivoire / noir / blanc / bleu saphir soleillé
Fonctions : heure, minute, jour, date
Mouvement : automatique ETA 2836-2 ou Sellita SW 220-1
Réserve de marche : 38 heures
Tarif : 2195 €