Gentlemen,
je me souviens de mon vieil ami Roger, viticulteur en Anjou, fils et petit-fils de vigneron, qui m'expliquait, alors qu'adolescent je foulais le raisin pieds nus avec lui (une autre époque...), que certaines méthodes pour faire le vin étaient immuables, que certains cycles naturels étaient incompressibles et que même avec les méthodes industrielles, il serait toujours impossible de trouver un vin de Bordeaux digne de l'appellation et rendant grâce au(x) terroir(s) en dessous d'environ 5 euros (conversion estimative avec les francs des années 80).
Et lorsque je tentais de lui objecter qu'au supermarché du coin il était possible d'en trouver pour moins cher, il s'énervait, devenait tout rouge et m'expliquait que cela n'était pas raisonnable et que nous aurions beau y faire, prétendre proposer une bonne bouteille de Bordeaux en dessous d'un certain tarif, relevait de la tromperie.
Je l'aimais bien Roger. Il fait partie des figures de ma jeunesse dans la France dite "profonde".
Je vous raconte aujourd'hui cette petite histoire personnelle, car je pense fréquemment à elle lorsque nous recevons chez PG, de multiples demandes de conseils pour des costumes de qualité à moins de 400 euros. En effet, la première idée qui me vient à chaque fois à l'esprit est qu'il est impossible, comme pour le Bordeaux, de prétendre proposer de la qualité en deca d'un certain tarif. C'est, si j'ose dire et comme me l'expliquait Roger au beau milieu du fouloir, mécanique.
Evidemment, et c'est là tout le problème, il n'est pas aisé de déterminer où positionner le curseur à partir duquel nous pouvons réellement parler de qualité, ne serait-ce qu'honorable, en matière de costumes classiques, tant les critères (visibles ou non) sont nombreux.
Pour autant, et après y avoir longuement réfléchi, il nous semble cependant qu'à qualité de tissu similaire, un critère comme le niveau d'entoilage des vestes représente aujourd'hui un excellent critère permettant de juger de la façon, du confort et de la durabilité potentielle d'un produit. En effet, lorsqu'une veste est à minima "semi-entoilée", cela témoigne sans équivoque d'un souci de qualité du fabricant et de son honnêteté vis-à-vis de ses clients. Car si l'entoilage (ou son horrible successeur industriel le thermo-collage) ne se voit pas, est difficile à détecter pour une main non avertie et n'ajoute rien au potentiel de séduction d'un vêtement dans une vitrine, il représente par ailleurs une différence majeure en termes de tenue, de confort, de fluidité et de solidité.
Pour comprendre en détails ce dont nous parlons, voir l'excellent article de Julien Scavini sur le sujet ICI.
Nous posons donc aujourd'hui, arbitrairement mais résolument, ce critère comme élément de référence non négociable en deca duquel AUCUN produit ne mérite réellement notre attention, du moins dans ces colonnes.
Et si nous traduisons cela en des termes plus prosaïques, cela veut donc dire qu'en dessous d'environ 600 euros, il n'est raisonnablement pas possible de parler de costume de qualité, qui devra donc être, au minimum, semi-entoilé sur la partie haute, c'est à dire celle qui est le plus en contact avec le corps et qui est cruciale à la fois pour la ligne, le confort et la tenue de l'ensemble.
Alors bien sûr, je suis conscient du fait que certains d'entre vous, notamment les plus jeunes qui sont encore étudiants, pourraient trouver cette proposition radicale, élitiste voire, à certains égards, décourageante surtout à une époque où l'on voit fleurir chaque jour sur l'internet et dans nos rues des offres au mieux fantaisistes, au pire grotesques, prétendant proposer des lignes "sartoriales" à moins de 300 euros...
Pourtant, avant de commencer à me maudire mentalement, et de décider de vous aventurer sur les pistes ostentatoires, approximatives et inconfortables du thermo-collé, réfléchissez un instant et considérez ce qui suit : si un vrai costume de qualité, semi voire intégralement entoilé coute 600, 800 ou même 1000 euros, cela veut dire que votre salut se trouve... dans les périodes de soldes où ces mêmes pièces pourront s'acquérir, si vous vous en occupez vraiment, pour 300, 400 et 500 euros. Sans parler des possibilités offertes par Ebay, les sites de petites annonces (où les plus perspicaces d'entre vous sauront dénicher des petites merveilles pour trois fois rien) et les e-store comme Savvy Row qui proposent des vêtements haut de gamme de "deuxième main" ou des fins de séries. Il existe donc beaucoup de solutions pour démarrer du bon pied dans votre quête d'élégance personnelle. CQFD.
Je connais d'ailleurs de nombreux jeunes lecteurs de PG qui ont démarré de cette manière, ont profité de cette période pour affuter leur style et leur goût en prenant peu de risques d'un point de vue financier avant de pouvoir passer, avec leur premier job, aux maisons proposant des produits en adéquation avec leurs aspirations sartoriales.
Et c'est justement de ces maisons dont nous souhaitons parler aujourd'hui avec une première sélection qui vient mettre à jour notre (trop) vieux post sur les recommandations concernant les costumes (ici : Costumes PAP).
Alors bien sûr, ce segment comme il est d'usage de l'appeler dans le monde du marketing, n'est pas le plus simple à analyser, car il se situe, par définition, "à cheval" entre les produits de masse et les produits haut de gamme. Un vrai fourre-tout en somme duquel nous avons extrait, pour aujourd'hui, 7 maisons qui, selon nos critères, se détachent du lot et représentent de bonnes options.
- Lander Urquijo : Cette jeune maison madrilène, très vite remarquée sur les réseaux sociaux comme Pinterest pour ses ensembles colorés, audacieux et joliment fabriqués, est l'une des bonnes surprises de ces dernières années, avec une offre complète, abordable et très rafraîchissante. Deux boutiques en Espagne et une à Paris.
- Boggi. La seconde excellente surprise récente. Boggi, qui possède un magasin à Paris sur le Bd Saint Germain, est une maison Milanaise dont la qualité, l'étendue et les tarifs incroyablement placés de l'offre impressionnent. La gamme fabriquée par Caruso, intégralement entoilée à 850 euros, vaut à elle seule le détour.
- Timothy Everest. Sans doute l'un des Bespoke Tailors parmi les plus turbulents, les plus créatifs et les plus intéressants de Londres. Il propose une gamme de prêt-à-porter semi-entoilée, fabriquée au Portugal, d'excellente facture... dans tous les sens du terme.
- Richard Anderson. La coqueluche actuelle de Savile Row. Un jeune tailleur audacieux et doué qui propose, outre le Bespoke et le MTM, une jolie petite gamme de prêt-à-porter, fabriquée en Italie, bien fabriquée et (très) bien coupée.
- Richard James. Autre figure du "nouvel establishment" de Savile Row, la maison Richard James propose, elle aussi, une gamme complète de costumes aux coupes plutôt contemporaines, très bien réalisés et flatteurs pour les silhouettes.
- Marc Guyot. Dans un registre évidemment plus flamboyant, Guyot continue, saison après saison, à proposer des collections complètes, pertinentes, qualitatives et décoiffantes qu'il est toujours intéressant de consulter, ne serait-ce que pour l'inspiration.
- E. Tautz. Seconde "marque" de Norton & Sons, auguste maison relancée il y a quelques années par Patrick Grant, E. Tautz propose des collections très contemporaines au sein desquelles quelques jolies pièces classiques émergent. Une jeune maison à suivre.
Cheers, HUGO